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PRESIDENTIELLE 2012 : La sous-région s’impose dans les agendas

SudOnline, le 23 mars 2012

samedi 24 mars 2012, par Tilelli

Quelle conjoncture truffée de défis pour le Sénégal ! Au plan domestique – malgré leur rageuse volonté d’être optimistes et sereins – les Sénégalais savent qu’à travers le second tour de l’élection présidentielle, la démocratie, la stabilité et la paix hésitent entre promontoire et précipice. Une inquiétude qui est, toutefois, tempérée par le fait que l’enjeu et les protagonistes restent nationaux. Avec cette espèce de garantie (jurisprudence du premier tour), que le réflexe pacifique et patriotique prendra, in fine, le dessus sur les surenchères enflammées et partisanes.

En revanche, dans notre voisinage immédiat, couvent, surgissent puis se pérennisent des crises dont les ondes de choc ne rateront pas le Sénégal. Tellement les trois pays de cet environnement chargé de périls potentiels et / ou réels (Guinée-Bissau, Mali et Mauritanie) sont proches, voire soudés au Sénégal. A cet égard, un regard bien appuyé sur la carte, autrement dit, un parfait inventaire des servitudes de la géographie renseigne autant que les notes diplomatiques les mieux élaborées et les articles de presse les plus fouillés.

Au sud du Sénégal, le vainqueur du second tour de scrutin, dimanche, aura à prémunir la Casamance déjà atteinte de vérole séparatiste, des laves déstabilisatrices du volcan tantôt en pause, tantôt en éruption que constitue la Guinée-Bissau où l’armée possède son Etat et non l’inverse. Une équation bissau-guinéenne qui n’a cessé de booster le cancer politico-militaire dont souffre interminablement la Casamance.

Aujourd’hui, la météo politique chez ce voisin est plus près d’annoncer un avis de tempête, que de prévoir une éclaircie de longue durée. Un cumul de signaux affolants en fait foi. En effet, quelques heures après le déroulement impeccable du scrutin présidentiel, le Colonel Samba Djalo, ex-directeur des renseignements militaires, a été froidement abattu. Une élimination qui montre que les mœurs politiques ont la peau dure dans un pays où, depuis l’année 2000, les Présidents démocratiquement installés via des élections transparentes, ne terminent jamais leurs mandats. Elu en 2000, Kumba Yalla est renversé en 2003. Vainqueur de la présidentielle de 2005, Nino est tué en 2009. Successeur de Nino par les urnes, Malan Beccai Sanha est mort avant le terme de son mandat, après avoir surmonté - donc survécu - à l’affrontement triangulaire entre les Généraux Zamora Induta, Antonio Njaie et l’Amiral Americo Gomez alias Bubo Na Tchuto.

Le chevauchement des échéances électorales en Guinée-Bissau et au Sénégal (respectivement les 22 et 25 mars 2012 pour les seconds tours) présage-t-il des lendemains de concertations stratégiques en vue d’une stabilité partagée, donc bénéfique à la Casamance ? Normalement, c’est la démarche que dicte le réalisme. A condition que Bissau domine ses vieux et coriaces démons. Parmi ceux-ci, figurent les fissures corrélées par des rivalités au sein du Paigc, le parti libérateur du pays et vainqueur (très probable) de la présidentielle, avec son insubmersible candidat et non moins inamovible Premier ministre, Carlos Gomes Junior. En clair, l’investiture de Gomes Junior favorise, de prime abord, le maintien du cap pris vis-à-vis du Sénégal, par feu Malan Beccai Sanha. Mais tout cela est tributaire du sentiment très peu « sénégalophile » qui prévaut dans les casernes, véritable et ultime siège du pouvoir à Bissau, où le chef de l’Etat reste un président potiche par rapport aux officiers faiseurs de roi.

Mais, la donne nouvelle – qui brise la grille d’analyse habituelle et rassurante jusque-là – est que l’Angola parraine le prochain homme fort de Bissau. Quand on sait que l’Angola dispose d’un contingent militaire en Guinée (le seul corps expéditionnaire angolais en Afrique de l’Ouest), on appréhende les conséquences qu’un possible coup de barre à Bissau (changement d’orientation politique) pourrait imprimer aux enjeux sous-régionaux. Il s’y ajoute que Carlos Gomes Junior est catalogué comme le chef du clan anti-Nino qui n’a jamais pardonné au défunt Président, sa collusion militaire avec le Sénégal à travers l’opération Gabou déclenchée en 1998. Dans un pays où le nationalisme est à fleur de peau, cette escapade destructrice des Jambars nourrit encore les ressentiments. Avec les répercussions que l’on devine en Casamance. Dernières minutes : le Chef d’Etat-major, le Général Antonio Njai aurait demandé à l’Angola, de rapatrier ses soldats.

A l’est du Sénégal, l’Etat voisin du Mali craque et s’installe dans l’antichambre de la désintégration, depuis la mi-janvier 2012. Le nord s’est militairement et politiquement détaché, sous la houlette d’une rébellion armée, pour se constituer en Etat de l’Azawad, appellation ancestrale, en tamasheq ou langue touareg, de la région septentrionale. Cette République de l’Azawad, non encore reconnue par la communauté internationale, a un Président qui s’appelle Hama Ag Mahmoud, ancien ministre du Général Moussa Traoré et ex-Conseiller Spécial du Président Alpha Oumar Konaré. La capitale provisoire du nouvel Etat est la ville conquise de Ménaka où flotte un drapeau différent de celui du Mali. En attendant la chute de Gao (encore contrôlée par l’armée de Bamako), le Président de l’Azawad vit en exil en Mauritanie. C’est kafkaïen mais malien, c’est-à-dire dangereusement observé aux portes orientales du Sénégal.

La crise malienne sera, par ses incidences sous-régionales, un dossier durablement en bonne place sur la table du Président sénégalais issu du second tour. Sa genèse et son déroulement posent les jalons d’un chambardement géopolitique sans précédent. Et tout y passe et s’y révèle sous un jour inquiétant : vulnérabilité de la souveraineté nationale, faiblesse des outils de défense, déficit de solidarité sous-régionale et primauté des intérêts des grands pays sur ceux des petits, etc.

Au commencement des malheurs du Mali, il y a les débordements de la guerre civile en Algérie. Sans y être invités, les islamistes algériens du Groupe salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) ont constitué des sanctuaires dans le nord du Mali, pour échapper au rouleau compresseur de la puissante armée algérienne. L’embryon d’Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) a ainsi pris forme, puis s’est développé en agrégeant des intégristes locaux (citoyens maliens, mauritaniens et nigériens) et des trafiquants de drogue. Plus récemment, Aqmi s’est « enrichie » de l’apport des radicaux nigérians du Boko Haram et de l’expertise de la filière pakistanaise des Talibans. Bref, une nébuleuse terroriste a violé et occupé une portion du territoire de l’Etat souverain du Mali qui, faute d’armée véritable, a baissé pavillon. Conséquence : la zone est devenue le pénitencier des otages occidentaux que les combattants d’Aqmi raflent des rives mauritaniennes de l’Atlantique jusqu’au désert nigérien du Ténéré.

Incapable de libérer ses otages sans l’implantation d’un chapelet de bases à Bamako, Mopti et Tessalit (requête repoussée par les Maliens, héritiers du nationalisme de Modibo Keita), la France a actionné la « cinquième colonne » touarègue pour atteindre ses objectifs. Une action favorisée par la victoire de l’Otan sur la Libye de Kadhafi. Le but de la manœuvre de Paris est la création d’un Etat (fantoche) des Touaregs, ces renards du désert, qui chasseront militairement Aqmi, libéreront les otages et offriront en guise de reconnaissance, la base stratégique de Tessalit qui ouvre et verrouille l’entrée du Hoggar, c’est-à-dire, le sud de l’Algérie. Perspective peu enchanteresse pour Alger qui, sûrement, ne sera pas passive. Pour l’heure, l’armée malienne en révolte contre l’impéritie et l’incurie d’un gouvernement incapable de faire la guerre, a creusé la tombe d’une fabuleuse expérience démocratique. Du coup, l’élection présidentielle du 29 avril est hypothéquée.

Dans cette stratégie, la France a pour alliée la Mauritanie dont le Président, le Général Mohamed Abdelaziz, est le Gurkha des Occidentaux dans la lutte contre le péril islamiste. Rôle accepté avec d’autant plus d’enthousiasme par le Général putschiste de Nouakchott, qu’il lui offre un parfait exutoire par rapport à la crise politique et sociale sans issue, qui sape les bases de son régime. Cependant, certains observateurs rattachent les agissements de la Mauritanie dans la crise malienne (incursions armées et manipulations des élites touarègues) à une guerre cachée, que le Général mène contre une opposition mauritanienne armée, secrètement diluée dans Aqmi et téléguidée depuis le Qatar, par le Président déchu Ould Taya.

Vrai ou faux, la Mauritanie tourne le dos à la solidarité minimale qu’induit la charte de l’Organisation de mise en valeur du Fleuve Sénégal (OMVS) à laquelle elle a souscrit. En tout état de cause, la collusion de la Mauritanie avec une puissance non africaine - la France- pour redessiner, par le feu, la carte du Mali, doit accentuer la vigilance des dirigeants sénégalais qui constatent ainsi, que les organisations sous-régionales sont loin d’être de solides instruments de solidarité et de sécurité.

Les tâches d’auxiliaire assignées à la Mauritanie dans la région saharo-sahélienne viennent d’être mises en relief par l’arrestation du Colonel et beau frère de Kadhafi, Abdallah Senoussi. Quand on connaît l’efficacité des services secrets du Maroc forgés par le fameux Général Oufkir, comment admettre que ce pays n’ait pu déceler, à la police de l’Air de Casablanca, un passeport trafiqué avec le nez cassé de ce Senoussi (ex-chef des espions de Kadhafi) que toutes les barbouzes du monde connaissent bien ? D’autant que la sécurité nigérienne l’avait localisé, en octobre 2011, près de la ville malienne de Kidal. Wade (le télégraphiste de Benghazi) doit bien mesurer la menace que représente la promenade des derniers fidèles du Guide libyen, le long des frontières du Sénégal.

Voilà un faisceau de défis qui s’amoncellent dans la sous-région et s’ajoutent par effraction, aux volets prioritaires des programmes des deux candidats en lice et en route vers le second tour ce dimanche. A la différence des questions nationales autour desquelles on peut ruser pour différer ou amortir les chocs, les défis dans la sous-région cadenassent le Sénégal dans un écheveau de périls, notamment au nord et à l’est ; tandis qu’au sud, le chaudron de la Guinée-Bissau n’est pas fait pour refroidir la Casamance.

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