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ATT et le Mali ne méritent pas ce coup d’Etat militaire

Rue89, le 23 mars 2012

vendredi 23 mars 2012, par Tilelli

C’est la preuve qu’il ne faut pas s’amuser avec la moindre mutinerie. Dans un milieu où on discute bien souvent la kalach en bandoulière et la baïonnette entre les dents, un mouvement d’humeur a vite fait de virer au vinaigre. Amadou Toumani Touré (ATT), pourtant général de son état, vient de l’apprendre à ses dépens.

Mercredi après-midi, une insurrection d’éléments de l’armée malienne, partie de la ville garnison de Kati, à un jet de pierre de Bamako, s’est muée au petit matin de jeudi en coup d’Etat.

Le nouvel homme fort du Mali, le capitaine Sanogo ((via Twitter))

Depuis hier donc, le Mali est dirigé par une junte, le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE) avec à sa tête un officier subalterne jusque-là « inconnu au régiment », le capitaine Amadou Sanogo.

La raison principale de ce pronunciamiento, un procès en incompétence, en l’occurrence « l’incapacité » du régime à « gérer la crise au nord du pays », secoué voilà maintenant deux mois par une nouvelle rébellion touarègue, venue se greffer à l’hydre AQMI (Al Qaeda pour le Maghreb islamique) qui faisait déjà la pluie et le beau temps dans ces vastes étendues désertiques que le pouvoir central n’est vraiment jamais parvenu à contrôler.

Ces derniers temps, la pieuvre nordiste est même devenue encore plus tentaculaire avec l’apparition d’Ansar Dine qui revendique ni plus ni moins qu’un Khalifat avec la charia comme loi fondamentale. Les élections remises aux calendes maliennes

Comme c’est souvent le cas en pareille circonstance, des barons du régime ont été embastillés, les institutions républicaines dissoutes, la Constitution suspendue et naturellement, la consultation présidentielle et référendaire, initialement prévue pour le 29 avril prochain, renvoyée aux calendes maliennes.

Malheureux dénouement pour une crise dans la crise qui couvait, il est vrai, depuis un certain temps dans les rangs de la soldatesque.

Le 19 mars courant, des épouses de militaires avaient en effet manifesté à Kati justement pour exiger la dotation conséquente en matériels militaires de leurs maris sur le front, la prise en charge conséquente des blessés de guerre et, déjà, « la démission du président de la République ». Et les combattants, qui avaient à l’évidence le moral dans les chaussettes, refusaient d’aller à l’abattoir, revendiquant plus de moyens pour contrer le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) et les groupes islamistes armés.

De plus en plus, il apparaissait clairement que « l’évacuation préventive » de certaines positions tenues par les forces loyalistes, qu’on voulait présenter comme une stratégie militaire, cachait mal la multiplication des revers cuisants à Aguelhok, Kidal, Tessalit, etc. et trahissait l’impuissance face à des ennemis, certes moins nombreux mais bigrement mieux armés avec les arsenaux entrés en territoire malien après la chute de Kadhafi.

De ce point de vue, on peut dire qu’ATT en est une victime collatérale. Si on ajoute à cela les problèmes de ravitaillement des troupes, les petits deals des sous-fifres et la grande corruption des gradés qui minaient, dit-on, la Grande Muette, l’incompatibilité d’humeur entre les anciens rebelles rentrés dans les rangs et leurs frères d’armes, on comprend que le couvercle de la Cocotte-Minute pouvait sauter à tout moment.

Il n’est pas non plus interdit de penser que l’ancien locataire du palais de Koulouba, sur les hauteurs de la capitale, a pu commettre quelques erreurs, au nombre desquelles sa propension à vouloir toujours arrondir les angles, donc à manquer quelquefois de fermeté sous ses gagnys empesés. ATT exemplaire

Mais quels que soient les reproches qu’on pouvait lui faire, l’homme du 26 mars ne méritait pas le sort qui est le sien aujourd’hui.

Voilà en effet un soldat qui est sorti du rang ce jour de 1991 pour mettre fin à la dictature de Moussa Traoré ;

* qui a géré une courte transition avant de remettre le pouvoir à un civil démocratiquement élu là où de nombreux autres auraient légalisé leur affaire ; * qui a mis les dix années suivantes à profit pour tisser sa toile en s’investissant dans des œuvres caritatives (lutte contre le ver de Guinée) et la recherche de la paix sur le continent ; * qui est ensuite revenu à la régulière au-devant de la scène en 2002 * et qui, ses deux mandats expirés, s’apprêtait à jouir enfin d’une retraite bien méritée pour s’en aller cultiver son propre jardin.

Mais voilà qu’on vient lui pourrir l’existence, d’abord avec cette fichue rébellion, et à présent avec un putsch qui viole un certain nombre de principes internationaux, notamment la déclaration d’Alger (1999) et celle de... Bamako.

En vérité, au-delà de la petite personne d’ATT, c’est le Mali tout entier qui ne mérite pas ce qui lui arrive. Car quoi qu’on dise, la démocratie malienne est quand même de nos jours bien enracinée et un projet de révision constitutionnelle était en chantier pour la renforcer davantage. L’étoile du Mali

Elle a même déjà connu l’alternance et là-bas on ne modifie pas les règles du jeu en plein match juste pour terminer ses chantiers ou par désir d’éternité. Et le pays, victime en réalité de son immensité (1,2 million de km2 dont les 2/3 inhospitaliers), progressait malgré tout.

Dans la sous-région, si on excepte un autre exemple vertueux tel le Ghana, sur le plan de la construction démocratique, le Mali était en train de supplanter le phare sénégalais dont la lumière est de plus en plus blafarde depuis l’arrivée d’Abdoulaye Wade.

Rien ne justifie donc véritablement la prise du pouvoir par le CNRDRE, surtout pas le « redressement de la démocratie » dans la mesure où ce coup d’arrêt brutal en constitue un grave recul. Les putschistes ont certes promis un retour rapide à une vie constitutionnelle normale, mais c’est toujours des mois de perdu et on ne reprend jamais facilement un élan démocratique brisé.

S’agissant maintenant des moyens dont l’armée a besoin, si le problème est réel, ce n’est certainement pas un coup d’Etat qui va le régler comme si les putschistes débarquaient avec un bâton magique pourvoyeur de logistique et d’argent.

On est même fondé à croire que les ressources pourraient se raréfier davantage, car les nouveaux occupants de la « colline du pouvoir » étant des hors-la-loi, la junte à peine née sera au banc de la Communauté internationale. D’ores et déjà, la France, en attendant sans doute d’autres partenaires au développement, n’a-t-elle pas suspendu sa coopération ?

Dans de telles conditions, où et comment trouver le soutien et surtout les armes nécessaires à leur objectif ? Et comment faire reculer une rébellion qui ne manquera pas de profiter de ces moments de flottement à la tête de l’Etat pour tailler des croupières aux forces loyales et grignoter de nouveaux arpents de territoire ?

Nous écrivions précédemment que le problème dépasse largement les maigres ressources du seul Mali et qu’il nécessitait, de ce fait, l’implication décisive des Africains et de la communauté internationale.

Et c’est pour avoir laissé ATT se démener seul comme un beau diable qu’ils en sont aujourd’hui à condamner ce qu’ils auraient pourtant pu contribuer à éviter : l’image bien connue du médecin après la mort. On les a si souvent vus dans ce rôle que ça ne surprend plus.

Ousseni Ilboudo

- Lire sur le site de Rue89

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