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Libye : la rébellion se lève à l’ouest

Par Luc Mathieu Envoyé spécial de Libération dans le djebel Nefoussa

mardi 5 juillet 2011, par Tilelli

Reportage

« Libération » s’est rendu au djebel Nefoussa, où les Berbères mettent en échec les kadhafistes.

Cinq minutes plus tôt, Mohammed al-Ajeli, 27 ans, glissait des roquettes de 68 mm dans un lanceur soudé à l’arrière d’un pick-up. Cigarette aux lèvres, il avait le geste sûr et précis, vérifiant que les ailettes en plastique placées à l’extrémité étaient bien coincées dans leur anneau métallique. Après avoir chargé douze roquettes, il a déplacé le pick-up et orienté le lanceur vers Gwalish, un bastion des forces kadhafistes à une dizaine de kilomètres du poste rebelle de Qalaa Al-Jadida.

Un adolescent a déclenché la mise à feu en appuyant sur un boîtier en plastique jaune, comme il y en a sur les chantiers. Trois roquettes sont parties dans un bruit assourdissant. Mohammed est remonté sur le pick-up pour réorienter le lanceur. Il n’a pas eu le temps de s’éloigner. Trois nouvelles roquettes se sont déclenchées : il a été projeté à cinq mètres. Toujours conscient, il s’est roulé par terre en hurlant, son treillis aux couleurs néerlandaises brûlé, la peau de la moitié droite du visage à vif, perlant de sang. Walid a couru jusqu’à sa Land Rover, garé non loin. A 120 km/h sur les routes de montagnes, il lui a fallu un quart d’heure pour atteindre l’hôpital de Yefren. Sur le trajet, entre deux gémissements, le jeune rebelle murmurait : « Je veux y retourner, je veux retourner au combat. »

Verrou. Ainsi va la guerre dans le djebel Nefoussa, dans le nord-ouest de la Libye, près de la frontière tunisienne. Les rebelles berbères sont inexpérimentés : avant le 17 février et le déclenchement de la révolution contre Muammar al-Kadhafi, ils étaient encore ouvriers, comptables, ou chômeurs. Même s’ils ne connaissent pas les techniques de guerre, les insurgés du djebel gagnent du terrain sur l’armée régulière du Guide. Après trois mois d’attaques et de contre-attaques, d’avancées et de retraites, ils ont établi, sans aide ou presque de l’Otan, le front le plus avancé du conflit, à moins de 100 km au sud de la capitale, Tripoli. Ils visent désormais la ville de Bir Al-Ghanam, un verrou stratégique, à la jonction des routes menant à Tripoli et Zawiyah, à l’ouest. Une prise de Bir Al-Ghanam permettrait de gêner les approvisionnements des forces du Guide, dont une partie passe le long de la côte depuis la Tunisie.

La position des rebelles berbères semble solide. Ils peuvent s’appuyer sur la petite ville de Tadiwit, au nord de Yefren. Coincée au fond d’un vallon entre deux plateaux, la cité n’a jamais été prise par les forces pro-Kadhafi depuis le début de la révolution. « Les soldats nous ont encerclés et pilonnés pendant trois mois mais nous les avons toujours empêchés de descendre jusqu’à nous. A chaque fois qu’ils ont essayé, nous les avons repoussés en tirant à la mitrailleuse lourde », explique Ali, un des 35 rebelles de Tadiwit, désormais vidé de ses habitants.

Ce succès des forces antikadhafistes, comme ailleurs dans le nord du djebel, tient avant tout à la géographie de la zone. A l’inverse des déserts de l’est du pays, la région n’est qu’une succession de falaises, de pics et d’escarpements. Les rares routes goudronnées sont étroites, en lacet. Les insurgés circulent sur les sentiers en terre, cachés au milieu des champs d’oliviers qu’ils connaissent depuis leur enfance. « Nous devons notre victoire à la montagne, explique Ali. Quand ils envoient leurs roquettes, nous nous réfugions dans les grottes. » La rébellion peut également compter sur un armement certes hétéroclite, pas toujours fiable ou adapté, mais consistant. Dans les premières semaines, elle ne disposait que de vieux fusils italiens, reliques de la colonisation de la Libye. Mais à chaque victoire contre l’armée du Guide, les hommes ont récupéré du matériel : kalachnikovs, fusils d’assaut belges, roquettes, mortiers et véhicules.

Sniper. Repoussées, les forces kadhafistes n’ont pas pour autant déserté. Dans sa maison d’Aenshar El-Hame, sur un plateau au nord de Yefren, Abdul Wahid, jadis comptable, montre trois collines à une quinzaine de kilomètres au sud-est, au-delà des champs d’oliviers. Une explosion sourde retentit, suivie d’un panache de fumée blanche. « Ils sont aussi à Gwalish et Galla Jededa. Ils sont là-bas depuis le début, nous n’arrivons pas à les déloger. » La dernière tentative date du 5 juin. Sur une vidéo, prise par les hommes d’Abdul à Sofit, on voit les combattants tirer à la mitrailleuse depuis une maison en ruines. Ils paraissent calmes, un adolescent en polo alimente l’arme en munitions. Les loyalistes sont regroupés autour d’un château d’eau blanc. Un sniper - un mercenaire selon Abdul - est posté à l’étage. « Nous les avons repoussés de plusieurs kilomètres avec cette attaque. Mais ils ont réavancé quelques jours plus tard », soupire Abdul. Ces positions kadhafistes sont les premières cibles de la rébellion. « C’est une question de jours, une semaine au maximum, affirme un enseignant, qui veut garder l’anonymat pour protéger sa famille restée à Tripoli. Les soldats ont subi beaucoup de pertes, ils ne tiendront pas. »

Si le plan fonctionne, les rebelles du djebel ne risqueront plus une contre-attaque sur leur flanc et pourront concentrer leurs forces sur le front nord qui mène à Tripoli. Mais l’enseignant berbère n’est pas optimiste quant à une issue rapide. « Le terrain est, là-bas, quasiment plat. C’est beaucoup plus difficile d’avancer que dans nos montagnes. Je ne comprends pas pourquoi l’Otan ne se décide pas à bombarder les positions des soldats de Kadhafi. »

Libération , le 30 juin 2011.

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