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Donatella Rovera, d’Amnesty International : en Libye, « on tire à la roquette sur les civils sans distinction »

La Voix du Nord, le 2 juillet 2011.

samedi 2 juillet 2011, par Tilelli

TÉMOIGNAGE

Conseillère spéciale d’Amnesty International chargée des crises et des conflits, Donatella Rovera vient de passer plusieurs mois en Libye. Elle a vécu la période où la crise a viré de la contestation au conflit armé. ...

- Quand êtes-vous allée là-bas ?
« J’ai débarqué le 26 février dans les régions tenues par l’opposition depuis le 21. Kadhafi nous refuse l’accès aux parties du pays qu’il contrôle. Tout l’Est, ainsi que Misrata à l’ouest, étaient aux mains des anti-Kadhafi. La rébellion a vite tourné au conflit armé. Les rebelles se sont fournis en armes en pillant les dépôts. Sans trop savoir les manipuler. Quand j’arrive, c’est pour enquêter sur les cas où la troupe a tiré sur des manifestants. La donne change vite. Kadhafi multiplie les efforts pour reprendre le terrain. Et il ne donne pas dans le détail. »

- Que voulez-vous dire ?
« Quand Misrata est repris en mars, tout le monde est une cible. Les soldats de Kadhafi tirent sans faire de détail à la roquette Grad. Cette arme n’a rien d’un missile pour frappe chirurgicale. Elle est utilisée sans discernement. Les roquettes pleuvent littéralement par dizaines sur des quartiers habités. On tire aussi avec des chars, des mortiers. À Ajdabiya, la population fuit. Soit plus de cent mille habitants, alors dispersés dans le désert, souvent sans refuge. Mais Misrata est sous état de siège, les habitants ne peuvent pas fuir et sont tués par dizaines. À Benghazi, le 19 mars, l’armée avait commencé à frapper quelques heures avant l’intervention française. »

- Ajdabiya et Misrata ont été repris par la rébellion...
« La situation n’est pas moins dramatique. La guerre continue. Aujourd’hui, la seule porte de sortie de Misrata reste la mer. Et peu de gens peuvent partir. Les bateaux de l’Office des migrations internationales (OMI) ont du mal à passer. Certains attendent des heures, des jours, au large, à cause des bombardements. Une famille de Nigériens a été tuée en attendant une évacuation. Misrata est une ville de trois cent mille âmes. Là aussi, les déluges de Grad font des ravages. Ces missiles sont truffés de billes de métal, afin d’en multiplier la nocivité. L’armée de Kadhafi y utilise des bombes à fragmentation et des mines antipersonnel, interdites au niveau international. »

- Que font les troupes de Kadhafi au contact des civils ?
« Dans les villes du front, des centaines de jeunes hommes ont été enlevés à domicile. Il s’agit de les empêcher de rejoindre la rébellion. Certains ont été retrouvés abattus, les mains attachées dans le dos. Des soldats gouvernementaux ont été capturés avec, dans leurs téléphones portables, des images de ces exactions. »

- Avez-vous constaté des viols collectifs ?
« Je n’ai pas vu de cas de viols de masse commis après consommation de Viagra par les agresseurs. Pour l’instant, pas d’indice ou de preuves.

Encore une fois, les territoires contrôlés par le gouvernement nous étaient fermés. Mais cela ressemble à de la rumeur. Tout comme ces assertions d’arrivées importantes de mercenaires. Il y a peut-être des cas individuels, mais je n’ai rien vu d’organisé. En revanche, ces soupçons ont mené à de véritables lynchages, voire une chasse à l’homme, dans les régions tenues par l’opposition. Les victimes en ont été des personnes d’Afrique subsaharienne ou des Libyens à la peau sombre. »

- La rébellion viole donc également les droits de l’homme ?
« On a retrouvé des hommes du système, pieds et poings liés, abattus d’une balle dans la tête avec, à côté, un panneau : "Voilà comment meurent les chiens de Kadhafi !" Des gens ont été arrêtés, torturés. Y compris des soldats. On trouve également des personnes interpellées et incarcérées pour leur propre protection car les autorités de transition ne contrôlent pas tout à fait les rebelles. Là où nous avons pu enquêter, les exactions de l’opposition sont sans commune mesure avec celles du régime de Kadhafi. »

PROPOS RECUEILLIS PAR LAKHDAR BELAÏD

La Voix du Nord, samedi 02.07.2011.

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