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Au Caire, la colère des coptes

in La Croix, le 9 mars 2011

vendredi 25 mars 2011, par Tilelli

Des affrontements très violents ont eu lieu mardi 8 mars entre coptes et musulmans dans un quartier de chiffonniers du Caire faisant au moins dix morts et une centaine de blessés

Une vingtaine de femmes, toutes vêtues de noir, sont venues mercredi 9 mars présenter leurs condoléances. Harbi Mansour, un chiffonnier de 26 ans, a été tué dans les affrontements la veille. Sa femme, Aïda, reste silencieuse au milieu des cris et des pleurs, comme hébétée. La jeune femme serre contre sa poitrine son fils de 2 ans et demi. « Pendant sept ans, on n’a pas pu avoir d’enfant. Maintenant j’ai ce petit et je suis enceinte. Je ne sais pas ce que l’on va devenir sans lui… Que Dieu nous vienne en aide ! »

Mardi soir, Harbi a reçu un appel d’amis qui étaient devant l’une des entrées du quartier des chiffonniers. « Il est sorti pour aller voir ce qui se passait. Dix minutes plus tard, on nous a appelés pour nous dire qu’il était blessé, et ses amis l’ont ramené ici. Il avait une balle dans la tête. »

« Faire leur révolution »

Hanna Rostom, un voisin, essaie de reconstituer le fil des événements. « Mardi matin, quand je suis sorti du quartier, il y avait une voiture de police à l’entrée du Muqattam. ça m’a paru étrange, on n’a plus vu de policiers ici depuis le début de la révolution. »

Dans la journée, des habitants du Muqattam décident de « faire leur révolution » : ils bloquent le périphérique à trois voies qui passe devant le quartier, pour dénoncer l’attaque contre l’église de Sol – un village du gouvernorat de Helwan –, incendiée la semaine passée après une dispute entre deux familles, provoquée par une relation amoureuse entre une musulmane et un chrétien.

Depuis samedi, des milliers de chrétiens campent devant le bâtiment de la télévision d’État, près de la place Tahrir, pour les mêmes raisons : ils jurent de ne pas quitter les lieux tant que l’église de Sol n’aura pas été reconstruite, et leurs droits reconnus par le nouveau pouvoir.

Coptes d’un côté, musulmans de l’autre

« Dans l’après-midi, il y a eu des accrochages entre les gens du Muqattam et les habitants musulmans de Saïda Aïcha, un quartier voisin. Ils étaient furieux que l’on ait bloqué la route. Ils ont arrêté une voiture d’un habitant du Muqattam et l’ont battu », raconte Hanna Rostom.

En représailles, les coptes ont fait descendre des habitants de Saïda Aïcha d’un microbus et les ont roués de coups à leur tour. En fin d’après-midi, deux foules se faisaient face sur un pont, près de l’entrée du Muqattam : coptes d’un côté, musulmans de l’autre se lançant des projectiles. « Il y avait un tank entre les deux, qui avançait en direction des chrétiens, comme pour les repousser vers le quartier. »

Les soldats ont tiré d’abord en l’air, puis sur les pieds des manifestants coptes. « Plusieurs garçons ont été blessés aux jambes, dont mon voisin de 15 ans, raconte Ayman, qui a participé aux affrontements. Puis ils ont commencé à tirer directement sur la foule. Il y a eu rapidement beaucoup de blessés… L’armée a refusé de laisser passer les ambulances, quatre jeunes sont morts parce qu’ils n’ont pas pu être emmenés à temps à l’hôpital. »

Les manifestants musulmans ont progressé de deux cents mètres à l’intérieur du quartier, pillant et brûlant maisons et magasins. Selon certains habitants, les assaillants étaient composés de salafistes (islamistes fondamentalistes) et de « baltaguis », des hommes de main de l’ancien régime. « Ceux que j’ai vus étaient habillés normalement, ils ne portaient pas la tenue habituelle des salafistes », témoigne pour sa part Hanna Rostom.

10 morts et 110 blessés

Mercredi 9 mars, au bureau de l’église Al-Qedis-Samaan, on dénombrait 10 morts et 110 blessés – en grande majorité des chrétiens du Muqattam. « Parmi les victimes, il y a un musulman, Ali Hassan Hussein. Il habitait le quartier et travaillait comme chiffonnier. Il s’est battu avec nous », affirme Hanna Rostom.

Cet ingénieur autodidacte de 27 ans, qui fabrique des panneaux solaires, avait été enthousiasmé par la révolution du mois dernier. « Je suis allé sur la place Tahrir, j’y ai rencontré beaucoup de musulmans très tolérants et je pensais vraiment que les tensions confessionnelles étaient derrière nous. »

Après les événements de la nuit, il est pessimiste. « Comment les familles des morts peuvent-elles oublier que ce sont des musulmans qui ont fait ça ? Comment ne pas se méfier de tout le monde maintenant ? » Il craint que l’événement provoque une flambée des violences interreligieuses dans tout le pays.

« D’autant que l’armée est au moins complice : ils ne font rien quand on nous attaque. Nous avons peur pour nos familles. Nous n’avons pas d’armes, que peut-on faire s’ils nous attaquent à nouveau ? »

Le pape Chenouda tente d’apaiser la situation

Mercredi après-midi, plusieurs chars se sont postés dans les rues de terre battue d’où on accède au Muqattam, bouclant le quartier. « Nous avons reçu des menaces des gens de Saïda Aïcha. Nous sommes en contact avec l’armée pour essayer d’assurer la sécurité des habitants », affirmait mercredi le P. Yohannes, l’un des prêtres du quartier.

« L’union sacrée » entre chrétiens en musulmans, qui prévalait pendant la révolution égyptienne, semblait déjà bien loin. Mercredi, le pape Chenouda, chef de l’Église copte, a demandé aux prêtres d’encourager les manifestants chrétiens du quartier de Maspero – des dizaines de milliers mercredi soir – à rentrer chez eux, pour apaiser la situation. Mais la colère des coptes risque d’être très difficile à contenir.

Nina HUBINET, au Caire

Au Caire, la colère des coptes (La Croix, 9 mars 2011)

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