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Les vérités d’Ait Ahmed sur la « crise berbériste ».

Le Quotidien d’Algérie, le 17 juillet 2012

vendredi 20 juillet 2012, par Tilelli

La crise berbériste a donné lieu –et c’est le moins que l’on puisse dire –à diverses interprétations. En effet, bien que l’élément déclencheur soit réel, la direction du PPA-MTLD (Parti du peuple algérien – Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) saisit cette occasion pour régler ses comptes avec l’aile activiste du parti. Ainsi, en dépit de son discours radical, dans les faits, Messali Hadj n’a jamais voulu, comme le dit si bien Mohamed Harbi, engager une épreuve de force contre le système colonial. Du coup, pour avoir le contrôle sur le parti, il montait une aile du parti contre une autre afin de rester maitre du jeu.

D’une façon générale, cette politique s’est vérifiée lors de la crise connue sous le nom de « complot berbériste ». Bien que le mouvement ne connaisse pas une grande ampleur, la direction lui réserve tout de même un traitement répressif. En tout cas, la réaction est indubitablement disproportionnée. Et pour cause ! Selon Ait Ahmed, la crise a eu pour point de départ l’agitation d’un seul militant, Rachid Ali Yahia. « En 1948, Ouali Bennai envoie en France un ancien lycéen de Ben Aknoun, Mohand Sid Ali Yahia (dit Rachid), pour qu’il y reprenne ses études interrompues en 1946, lorsqu’il s’était mis à la disposition du parti en Kabylie », décrit Ait Ahmed les états de service du militant en question.

Toutefois, bien qu’il ait activé au sein du district de Kabylie, ses services, d’après le témoignage d’Ait Ahmed, ne furent pas prépondérants. « Quand Ali Yahia est venu nous rejoindre en 1946, j’ai eu du mal à le faire intégrer dans nos structures, d’abord au niveau de son village et ensuite de son douar d’origine, qui est aussi le mien », note Ait Ahmed dans ses mémoires intitulées « l’esprit d’indépendance ». N’ayant pas connaissance des décisions prises au sommet, Rachid Ali Yahia s’intéresse aux questions secondaires. En effet, bien que la question identitaire soit essentielle, devant le phénomène colonial, celle-ci n’est pas prioritaire, comme le prouveront plus tard les combattants de la Wilaya III historique.

Quoi qu’il en soit, au moment où le parti engage une réflexion profonde sur le déclenchement de l’action armée, Rachid Ali Yahia ouvert un débat au sein de la fédération de France du PPA-MTLD sur l’orientation idéologique de la future Algérie. Cela dit, bien que tous les militants soient affectivement attachés à la question identitaire, il n’en reste pas moins, pour la majorité d’entre eux, que l’urgence est de se débarrasser d’abord du carcan colonial. Jouant sur la fibre sentimentale, Ali Yahia Rachid fait voter alors une motion contre l’orientation arabo-islamique du parti. Lors du vote, 28 membres sur 32 sont d’accord.

Cependant, la réaction de la direction ne s’est pas fait attendre. Pressée par le courant activiste de la suivre dans la voie révolutionnaire, la direction du PPA-MTLD est restée pantoise. Et elle ne retrouve ses forces que pour combattre la motion parisienne du parti. Dans son angle de tir, elle réserve, sans le dire clairement, ses attaques contre l’ensemble de l’aile radicale. D’essence frondeuse, la Kabylie est désormais dans son collimateur. Pour Ait Ahmed, « À partir de cet épisode, la Kabylie trainera –il faut dire les choses comme elles sont –la casserole du « berbérisme » avec toutes les connotations irrationnelles, négatives et ironiques, attachées à la fonction d’épouvantail. Il y a comme ça des grains de sable, des personnages insignifiants, qui entrainent dans la vie politique des conséquences démesurées ».

Cependant, saisissant la balle au bond, la direction du PPA-MTLD réagit promptement. Pour ce faire, Messali charge trois berbérophones (Sadok Saïdi, Dr Chawqui Mostefai, et Radjeff Belkacem) de reprendre le contrôle de la fédération de France. « Au printemps 1949, la capitaine Saïdi participe donc aux opérations de pacifications et de maintien de l’ordre avec d’autant plus d’élan qu’il a, cette fois, le sentiment d’être du bon coté, et qu’à triompher sans péril il n’en aura pas moins la gloire de se faire une virginité », note Ait Ahmed.

De toute évidence, cet orage parisien n’est pas prêt de disparaitre de sitôt. Bien que l’agitation soit contenue dans quelques poches en Kabylie, la direction maintient sa pression et engage un bras de fer avec les militants de cette région sans distinction. En tout cas, le premier à payer les frais est Ouali Bennai. Voulant se rendre en France [personne ne peut situer exactement les motifs], Ouali Bennai est arrêté à Oran avant son embarquement vers Marseille. Selon Ait Ahmed, « il réagit comme un père tranquille irlandais devant un pugilat : on y prend part, et on ne s’interroge sur ses motifs que quand il est terminé ». Dans la foulée, les accusations fusent dans tous les sens. Pour la direction, le départ de Ouali Bennai en France est la preuve de l’existence du dit complot.

Quant aux défenseurs de la motion de Rachid Ali Yahia, ils accusent la direction d’avoir donné Ouali Bennai à la police coloniale. Tout compte fait, la vague d’arrestation fait peser quand même des soupçons sur la direction. « Les captures successives de presque tous les dirigeants du district de Kabylie vont jeter de l’huile sur le feu des passions, des suspicions, des anathèmes : Amar Ould Hamouda, appréhendé dans un tram de la capitale ; Saïd Oubouzar, responsable politique pour la région de Tizi Ouzou, coincé seul et arrêté à Alger ; toujours à Alger, Omar Oussedik, encerclé et ceinturé au jardin Marengo,…Quelques jours plus tard, c’est autour du responsable de l’OS en basse Kabylie, Omar Boudaoud, qui, revenant de la capitale, est cueilli à l’arrivée de l’autocar de Rebeval (Baghlia) », note Ait Ahmed à juste titre.

En tout état de cause, de cette machination, il ne reste qu’un seul responsable, en Kabylie, en liberté. Il s’agit de Belaid Ait Medri. Celui-ci pense en effet que cette vague d’arrestation résulte d’une collusion entre les autorités coloniales et des membres influents de la direction nationale du PPA-MTLD. Nonobstant le travail de conciliation entrepris par Ait Ahmed, le climat de méfiance, de part et d’autre, ne facilite pas sa tache, d’autant plus qu’il est accusé, lui aussi, de comploteur. En tout cas, la direction du parti ne lui pardonnera pas son projet de faire évader Ouali Bennai de prison. « Mais ma marge d’action diminue au fur et à mesure que s’enfle le tir croisé des accusations, d’autant plus que je dois redoubler de précautions, car la police m’a identifié dans l’affaire de la poste d’Oran », argue ait Ahmed de la dureté de sa mission.

Cela dit, bien que la police soit toujours à ses trousses, Ait Ahmed va tenter de convaincre la direction de stopper ses attaques contre les responsables de la Kabylie. « Je leur demande de garder la tête froide : l’avalanche d’arrestations qui ont frappé que les dirigeants de la Kabylie, cela sent la provocation, la manipulation. Il ne faut pas se tromper d’adversaires. Bennai et tous les emprisonnés sont des hommes sérieux et conséquents. Ali Yahia n’est qu’une péripétie. Il n’était pas au comité central de Zeddine. Il ignore tout de nos options fondamentales, de nos buts. Mais justement, comment les atteindre si on décime l’encadrement en Kabylie », tente-t-il de raisonner la direction du PPA-MTLD.

En effet, à la réunion de Zeddine de décembre 1948, à laquelle ont participé Ait Ahmed, Ould Hamouda et Bennai, l’aile révolutionnaire a réussi à faire adopter son projet insurrectionnel. Néanmoins, bien qu’aucun responsable n’ait pu voter contre un tel projet, en catimini, certains membres de la direction font tout pour repousser cette échéance. Les notables du PPA-MTLD ne veulent plus de l’orientation arrêtée à Zeddine. Ainsi, en combattant le projet insurrectionnel, l’opportunisme électoraliste, selon Ait Ahmed, a de bons jours devant lui. En tout état de cause, après cette série de purges, la direction va réaliser son unité en excluant les parasitaires.

Finalement, au-delà de l’extirpation du germe berbériste, la direction du PPA-MTLD a su neutraliser le courant activiste dans sa globalité. Le meilleur exemple est celui de l’élimination de Lamine Debaghine, payant ainsi les frais de son désaccord avec Messali. Mi-révolutionnaire mi-réformateur, ce dernier sera rejeté plus tard par les uns et par les autres. Car son alliance avec les réformateurs ne durera pas longtemps. En 1954, les activistes, en portant un projet clair, élimineront et Messali et les réformateurs.

Ait Benali Boubekeur

- Lire sur le site de LQA

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