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Mathieu Guidère explique l’Azawad à Slate Afrique...

Slate Afrique, juin 2012

vendredi 29 juin 2012, par Tilelli

Spécialiste du monde arabe et musulman, Mathieu Guidère livre son analyse de la situation politique et militaire au nord du Mali. Ce professeur français des universités est notamment l’auteur de Printemps islamiste : démocratie et charia (Ellipses, 2012).

« Ansar Dine est le véritable maître du Nord-Mali »

Mise à jour du 28 juin 2012 : Un groupe armé islamiste a infligé le 28 juin une lourde défaite à la rébellion touareg dans le nord-est du Mali après de violents combats qui ont fait au moins vingt morts à Gao, ville désormais sous le contrôle total des islamistes qui renforcent leur emprise déjà forte sur la région.

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Slate Afrique - Au cours de leur offensive rebelle conjointe lancée mi-janvier 2012, les islamistes d’Ansar Dine ont progressivement marginalisé leur alliés du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Quel est le rapport de force au Nord-Mali ?

Mathieu Guidère - La situation est la suivante, aujourd’hui. Au nord du Mali dont la frontière s’arrête à Tombouctou, il y a quatre forces politiques et militaires qui se partagent le territoire et le pouvoir.

La première force est le MNLA, le Mouvement national de libération de l’Azawad, dirigé par un bureau politique plus ou moins fantoche. En réalité, celui qui en tient les rênes est le chef du bureau militaire, le colonel Mohamed Ag Nejim.

Il s’agit d’un colonel du régime de Kadhafi qui tenait la région sud de la Libye. A la chute de Kadhafi, il est rentré dans sa région d’origine avec armes et bagages : des véhicules blindés, du matériel neuf, rutilant.

Mais il est surtout rentré avec son régiment, plus de 1.000 hommes qui étaient sous son autorité dans le sud libyen. En majorité des Touaregs intégrés dans l’armée libyenne pour la protection de la frontière sud. Ne se sentant plus en sécurité à la chute du guide libyen, ils ont traversé le désert en passant par l’Algérie et ont rejoint le nord du Mali.

Cette première force politico-militaire reste non négligeable, mais elle a perdu certains de ses hommes. Certains Touaregs qui forment l’armature militaire de cette faction se sont faits récupérer par l’autre faction touareg.

Cette deuxième faction, qui représente une force politique dans la région, est celle que tout le monde connaît sous l’appellation Ansar Dine. Les médias ne voulaient sans doute pas effrayer le public occidental, mais le nom exact est « Jum’a Ansar al-din al salafiya », ce qui veut dire « le groupe des défenseurs salafistes de la religion ».

Ils se réclament clairement du salafisme. Ce sont des islamistes touareg, il ne faut pas les confondre. Ils sont dirigés politiquement, militairement et idéologiquement par un seul et même homme, Iyad Ag Ghali.

C’est un vétéran de la rébellion touareg, qui n’a pas toujours été islamiste. Il y a vingt-deux ans, en 1990, il avait déjà fondé le premier groupe rebelle touareg appelé le Front populaire (et non national) de libération de l’Azawad. Il a participé à toutes les rébellions de la région (1990, 1996) dont la dernière date de 2006. « Ansar Dine se réclame clairement du salafisme »

La médiation algérienne qui a réuni tout le monde autour de la table à cette occasion, a permis de pacifier la situation. A l’issue de ce règlement, le président malien de l’époque, Amadou Toumani Touré (ATT), avait proposé aux différents chefs touareg des fonctions et des gratifications.

Il a intégré les hommes qui étaient sous leur autorité dans l’armée malienne, en les laissant, la plupart du temps, dans les casernes de leur région, au nord du Mali où il est très difficile d’installer des Maliens du Sud. Ils ont donc été intégrés dans l’armée malienne de façon formelle, mais ils sont restés ensemble dans leurs casernes, à tenir le pays.

Pour achever de régler le problème, ATT avait proposé à Iyad Ag Ghali, un poste de conseiller au consulat de Djeddah, en Arabie Saoudite, ce qu’il a accepté. Il y passe deux ans et à ce moment-là, il va se convertir au salafisme, considérant que c’est la vraie voie de l’islam.

Fin 2010, au moment où commencent les révolutions arabes en Tunisie et en Egypte, il rentre au Mali et refuse que l’on renouvelle son détachement en Arabe Saoudite.

Quasi-immédiatement, il recrute parmi sa tribu des Ifoghas (touareg). Il enrôle les soldats qui étaient sous son autorité avant 2008. Iyad Ag Ghali instaure Ansar Dine, groupe islamiste touareg, d’obédience salafiste, qui se fixe comme objectif de mieux faire connaître cet islam au nord du Mali et, dans un deuxième temps, d’appliquer la charia sur les territoires touareg maliens.

Peu à peu, cette deuxième force va monter en puissance. Tout au long de l’année 2011, Iyad Ag Ghali va s’ancrer territorialement et rallier un certain nombre de chefs de tribus arabes, touareg en plus de quelques chefs Songhaïs.

Il va devenir la principale force avant le retour du colonel Ag Nejim de Libye qui ne rentre qu’en fin novembre 2011. A ce moment-là, c’est Ansar Dine qui est la principale force politico-militaire au nord du Mali.

Slate Afrique - Il s’agit des deux principales forces au nord du Mali…

M.G. - Dans cette région-là, on trouve également une troisième force. Il s’agit d’Al Qaida au Maghreb islamique, (Aqmi) qui contrôle globalement la région de l’Adrar des Ifoghas, (la région montagneuse située au nord-est du Mali). Dans un modus vivendi avec les forces gouvernementales maliennes, Aqmi a réussi à s’installer sur place, établir un certain nombre de camps et sanctuariser un certain nombre de territoires dans lesquels il agit. La condition étant de ne pas s’attaquer aux forces maliennes et de ne pas importuner les populations locales.

Cette force est relativement bien implantée notamment auprès d’un certain nombre de tribus. Avec la tribu Berabiche par exemple elle a noué des alliances matrimoniales. Globalement, Aqmi était sur un mode de contrebande, d’enlèvements d’occidentaux. En fait une position entre le djihad et le banditisme. C’est la troisième force politico-militaire qui a bénéficié de la déstabilisation de la Libye.

A la faveur de cette guerre elle a pu récupérer une certaine quantité d’armements, de véhicules ainsi qu’un certain nombre de combattants et de miliciens. Elle s’est renforcée militairement même si au niveau des effectifs elle ne s’est pas véritablement renforcée.

Quatrième force de la région, nouvelle venue, c’est le Mujao, mouvement pour l’unicité et le Djihad en Afrique de l’ouest. Ce mouvement dissident considérait qu’Aqmi n’en faisait pas suffisamment contre les Algériens, une cible qu’il faut attaquer d’avantage selon eux au même titre que l’Afrique de l’ouest.

En revanche, le mode opératoire est, à peu près, le même que celui d’Aqmi. Des coups ponctuels contre les installations et les militaires avec une idéologie affichée qui est celle de l’ancien GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) algérien avant qu’il ne devienne al-Qaida.

Ce sont donc les quatre forces politico-militaires qui existent à ce moment-là et qui donnent lieu à la situation actuelle.

Slate Afrique - Comment ce rapport de force dans le Nord Mali s’est-il établi ?

M.G. - Le premier à avoir lancé les hostilités est le colonel Mohamed Ag Nejim, le chef militaire du MNLA qui a attaqué début janvier, une caserne au nord. Au cours de son avancée fulgurante il va massacrer un certain nombre de soldats maliens provoquant une panique générale, une déroute des forces gouvernementales avec parfois des redditions et des ralliements.

Assez rapidement, la nouvelle se répand que le MNLA veut autonomiser le nord du Mali. Au même moment, c’est la catastrophe à Bamako. Situation instable et troubles vont mener au putsch du 22 mars.

Pendant ce temps-là, le MNLA va continuer à connaître un certain nombre de victoires militaires. Il va le faire sans consulter, la principale force politique et militaire de ce côté-là qui est Ansar Dine.

Rapidement, il va se produire un « modus vivendi », une alliance objective entre les quatre forces. Chacune va prendre le contrôle complet du territoire sur lequel elle agissait auparavant.

Aqmi, du côté de l’Adrar, au nord-est, le Mujao au niveau de la position juxtaposée, au nord à Kidal ; le MNLA autour de Gao et Ansar Dine qui a pris Tombouctou et ses alentours. Une répartition globalement objective.

Mais le MNLA voulait avoir le contrôle de tout le nord malien pour déclarer son Etat indépendant de l’Azawad. En attaquant les autres régions, ils se sont immédiatement affrontés aux forces d’Ansar Dine, du Mujao et d’Aqmi.

Le rapport de de force ne leur étant pas favorable, ils ont préféré ne pas renter en confrontation et ont cédé un certain nombre de territoires.

Slate Afrique - Les rebelles touareg détiennent-ils encore des positions fortes dans les territoires du Nord ?

M.G - Ils tiennent encore un certain nombre de positions dans le sud-est du nord malien. La zone qui est autour de Gao, globalement. Pour le reste, le territoire est essentiellement détenu par une coalition d’islamistes.

Parce qu’entretemps, Iyad Ag Ghali se sentant en position de force a réuni l’ensemble des factions islamistes : Ansar Dine, le Mujao et Aqmi. Il a réuni tous les chefs à Tombouctou et a obtenu un accord entre eux.

Cet accord stipule qu’il ne peut pas y avoir de concurrence entre islamistes, et que l’unité est nécessaire. Ils se sont entendus sur une charte signée par tout le monde. Ils se sont entendus sur la nécessité d’un Etat islamique et l’application de la charia.

La condition : qu’Aqmi et le Mujao ne procèdent pas à des enlèvements sur le territoire touareg. Pour le reste Aqmi et le Mujao ont le droit de pratiquer leurs activités habituelles.

Propos recueillis par Pierre Cherruau et Abdel Pitroipa http://www.slateafrique.com/90045/a...



Des rebelles touareg de plus en plus divisés

Slate Afrique - Si la force est dans le camp des islamistes d’Ansar Dine, pourquoi ont-ils été disposés à négocier avec leurs alliés d’hier du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) ?

Mathieu Guidère - En réalité c’est parce que le MNLA s’est retrouvé très isolé, mais l’intérêt se situe des deux côtés :

Lorsque le MNLA a proclamé l’Etat indépendant de l’Azawad de façon unilatérale, il n’a reçu aucun soutien des pays voisins et puissances occidentales. D’un point de vue militaire, il n’était pas en position de créer cet Etat. Il avait donc tout intérêt à s’allier à ceux qui disposaient du territoire et de la force militaire, c’est-à-dire les islamistes touareg d’Ansar Dine.

De l’autre côté, les islamistes touareg avaient intérêt à rechercher l’alliance avec le MNLA. Parce que, dans le cas contraire, cela obligeait Iyad Ag Ghali à devoir tuer d’autres Touaregs, ce qu’il ne voulait pas faire pour des raisons idéologiques et politiques. Il ne souhaitait pas apparaître comme celui qui tue d’autres Touaregs.

Par ailleurs, seul, il lui était difficile de déclarer son Etat islamique au risque de provoquer une levée de boucliers dans la région et à l’intérieur du pays ayant parmi ses alliés al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi).

MNLA et Ansar Dine vont donc se réunir et discuter des termes d’une alliance en faisant chacun des concessions. Le MNLA va céder sur l’appellation de l’Etat qui ne devait plus s’appeler « Etat de l’Azawad », mais « Etat islamique de l’Azawad ». De son côté, Ansar Dine va accepter que ses forces se mettent à la disposition du nouvel Etat Azawad et qu’elles le protègent contre toute incursion.

Il va donc accepter le principe d’une autonomie de cette région. Alors que, auparavant, il se situait plutôt dans un objectif panislamique de Califat. Ansar Dine souhaitait que l’islamisme s’étende d’avantage et ne s’arrête pas au nord du Mali. Son optique n’était pas du tout indépendantiste, localiste. Chacun a mis un peu d’eau dans son vin et ils sont parvenus à cet accord. « Il y avait un intérêt réciproque à négocier »

Sauf que, quelques jours plus tard, l’accord a donné lieu à des interprétations diverses à l’intérieur d’Ansar Dine et du MNLA.

Chez Ansar Dine, certains se sont dit que si l’Etat devenait officiellement islamique il était donc possible d’appliquer la charia.

Ils ont aussitôt commencé à mettre en place un système juridique de « cadis » (juges islamiques) dans les villes en vue d’appliquer la charia.

De l’autre côté, le MNLA a estimé que, si désormais, il s’agit d’un Etat islamique, par conséquent on ne se trouvait plus dans un Etat laïque. Cela a été rejeté par une faction du MNLA qui a dénoncé l’accord refusant catégoriquement de participer à une coalition avec des islamistes prônant la charia.

A noter que cette scission post-accord provient, du côté d’ansar Dine, d’une faction interne de Touaregs ayant un ancrage local qui voulaient absolument appliquer la charia pour mettre de l’ordre dans les villes, alors que du côté du MNLA, la faction qui a contesté l’accord est ce que l’on appelle « le MNLA de l’étranger ».

Mais le MNLA, composé de militants de terrain, partageant l’espace avec les islamistes n’était pas farouchement hostile à l’idée d’appliquer la charia. Ils se disait de toute façon, celle-ci se ferait « à la malienne ».

Mais la branche étrangère du MNLA, en particulier celle qui se trouve en France, a fait pression pour dénoncer l’accord qui n’a pas pu aller jusqu’au bout.

Il y a donc une compétition entre les Touaregs de l’intérieur et les Touaregs de l’extérieur dans le règlement de la situation au nord du Mali.

Slate Afrique - Il y a donc des divisions profondes chez les Touaregs

M.G - Absolument ! Chacune de ces factions a des prolongements dans les pays voisins, ce qui constitue une troisième complication. Ces fractures sont de trois ordres :

D’abord, la fracture interne touareg entre Touaregs islamistes et Touaregs laïcs qui a abouti à l’échec de l’accord cité plus tôt.

Ensuite, la fracture entre les Touaregs de l’intérieur et Touaregs de l’extérieur qui sont globalement en France. La plupart sont des Maliens installés en France.

La troisième fracture se situe au niveau du prolongement de chacun de ces camps : islamistes et laïcs dans les pays voisins de la région. Si l’on considère la faction islamiste d’Iyad Ag Ghali, on constate qu’elle est soutenue par des Algériens et en sous-main par des Mauritaniens.

Si l’on s’intéresse aux rebelles laïcs, on s’aperçoit qu’ils sont soutenus par des Touaregs nigériens et par un certain nombre de personnes au Burkina Faso, en particulier, le président Blaise Compaoré. Cela fait donc deux pays qui interfèrent en plus avec l’Algérie et la Mauritanie.

Si l’on considère les Touaregs de l’extérieur, ceux-là ont leurs entrées à la fois chez les Français, auprès du ministère des Affaires Etrangères français et sa diplomatie. Ils ont également leurs entrées chez les Américains.

Tout ce petit monde s’est retrouvé sur le seul acteur qui pouvait donner de la voix, c’est-à-dire la Cédéao, (la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Et à l’intérieur de la Cédéao on retrouve également les mêmes rapports de force et d’influence

Slate Afrique - Comment expliquer la désignation du président burkinabè, Blaise Compaoré comme médiateur de la Cédéao ? Il semble qu’il a ses entrées dans les milieux rebelles. Quels sont ces interlocuteurs ?

M.G - Si Compaoré s’est mis en avant, c’est parce que personne ne voulait ou ne pouvait le faire sur ce dossier. La médiation Compaoré s’est imposée par défaut. Personne ne dit ou ne pense que Compaoré est l’homme de la situation. Bien au contraire, tout le monde pense que ce n’est probablement pas la bonne solution que Compaoré soit le médiateur attitré.

C’est une solution par défaut qui bénéficie à une des factions en particulier, celle des Touaregs laïcs. Elle estime qu’en phagocytant le processus en cours au nord du Mali, elle pourrait éventuellement négocier par la suite avec Compaoré une sorte de ralliement des Touaregs qui sont au Niger et au Burkina dans le cadre d’un Etat qui ne serait pas dans les frontières (du Nord Mali), mais dans les frontières historiques des Touaregs « pan-national ».

De son côté Compaoré dispose là d’une occasion rêvée d’occuper son armée. Cela fait des décennies qu’il est au pouvoir et à présent le climat social gronde. Il est contesté alors qu’il vient d’être réélu dans des conditions contestables. Pour lui c’est l’occasion de se donner un rôle et d’occuper son armée.

En l’absence de bonnes volontés, il y a un vide politique et diplomatique dans lequel Compaoré s’est engouffré pour se forger une stature de médiateur. Absence de volontés occidentales aussi. Puisque, en France, on était dans un contexte de campagne présidentielle, jusqu’il y a peu.

Aux Etats-Unis, il y a une campagne présidentielle en cours. Ces interlocuteurs ne sont pas très motivés pour intervenir d’autant plus qu’au sud, à Bamako, il n’y a toujours pas de pouvoir stable. Il n’y a pas de solution durable de résolution de la situation politique à Bamako.

Slate Afrique - Les émissaires du MNLA et d’Ansar Dine ont été aperçus successivement à Ouagadougou pour négocier avec le médiateur de la Cédéao. Qu’est-ce que Ansar Dine peut bien vouloir négocier ?

M.G - La première chose à négocier c’est l’intervention militaire. L’agitation politique et diplomatique n’affecte absolument pas les Touaregs au nord du Mali. La situation y est globalement sous le contrôle essentiel d’Ansar Dine. C’est une région totalement autonome aujourd’hui. Elle est sous administration juridictionnelle et policière des Touaregs qu’ils soient islamistes ou du MNLA.

Leur seule peur est celle d’une intervention militaire. Menace que tout le monde brandit puisque la Cédéao s’est exprimée dans ce sens. Elle a même donné le chiffre du nombre d’hommes qu’elle enverrait sur place.

Il s’agit donc pour les rebelles de connaître les raisons, les objectifs et les modalités éventuelles d’une intervention militaire. La négociation se fait actuellement sur ce dernier point. Si Compaoré est décidé à envoyer des soldats, les siens où ceux de la Cédéao, c’est-à-dire, d’autres pays africains, il faut savoir dans quel objectif cela se fera.

Devront-ils être considérés comme des ennemis ou non ? S’agit-il d’une force de stabilisation ? S’agit-il d’une force d’aide à la gestion ? Est-ce que c’est une force ennemie qui va arriver sur le territoire, c’est tout cela qui se négocie.

Où vont-ils s’installer ? Viennent-ils véritablement pour faire la guerre aux Touaregs ? C’est tout ceci est encore en discussion. De son issue dépendra la position que vont prendre les touaregs au nord du Mali et surtout Iyad Ag Ghali.

Parce que, bien évidemment, s’il y a « invasion » des troupes de la Cédéao au nord malien pour chasser ou anéantir les Touaregs, il est évident qu’il se produira une alliance sacrée des Touaregs maliens du nord contre toute intervention étrangère.

Propos recueillis par Pierre Cherruau et Abdel Pitroipa

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Nord-Mali : « L’intervention militaire n’est pas souhaitable »

Slate Afrique - Une intervention militaire au nord du Mali est-elle plausible ?

Mathieu Guidère - Politiquement, elle est affichée. La Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) demande d’ailleurs au Conseil de sécurité de l’ONU de voter cette option. Elle est prête à envoyer entre 2.000 et 3.000 hommes.

Pour l’heure, il y a beaucoup d’inconnues. De quelle armée s’agira-t-il ? Et avec quels équipements ? De plus, on ne connaît pas exactement la mission qu’elle s’assignera au nord du Mali.

Pour éviter la sanctuarisation du nord malien et que les Touaregs, islamistes ou non, ne s’ancrent durablement dans le paysage prenant définitivement le contrôle du nord malien, il est clair que seule la solution militaire existe.

Mais de mon point de vue, une intervention militaire n’est pas souhaitable. Aujourd’hui, la situation est stabilisée : il n’y a pas de massacres et l’exode s’est arrêté alors que plus de 200.000 réfugiés avaient fui le nord malien, lors des combats au début de l’année.

Il n’y a pas de troubles majeurs dans cette région et donc une intervention militaire, quels que soient ses objectifs, ne peut qu’empirer la situation. La solution serait éventuellement de négocier en agitant l’option militaire, ce qui se fait actuellement.

Slate Afrique - Si une intervention militaire avait lieu, quel pays en prendrait la direction ? Qui apporterait le soutien logistique ? Peut-on s’attendre à ce que la France parraine cette intervention ?

M.G. - Actuellement, c’est le président burkinabè, Blaise Compaoré, (au pouvoir depuis 1987) et ses troupes qui sont pressenties pour mener cette intervention. Apporter un soutien militaire signifie quelque chose de précis, c’est-à-dire équiper les soldats et leur donner des armes et des munitions.

Jusqu’ici, c’est essentiellement la France et les Etats-Unis qui l’ont fait et je ne vois pas qui d’autre pourrait continuer à assumer ce rôle. Cela pourrait se faire sous forme d’un appui sous mandat des Nations unies à la force militaire de la Cédéao et non pas directement à Compaoré. Officiellement du moins.

Slate Afrique - Le facteur explicatif d’une aide américaine ne serait-il pas la crainte d’une jonction entre Ansar Dine et Boko Haram (au Nigeria), tous les islamistes radicaux de l’Afrique de l’Ouest ?

M.G. - Effectivement, les Etats-Unis suivent de près la situation, à cause de la présence de Boko Haram au Nigeria, pays stratégique pour les Américains en raison du pétrole.

Pour le reste, le Mali, la Mauritanie et toute cette région ne représentent pas un enjeu d’importance pour les Etats-Unis. Ils estiment que c’est plutôt l’aire d’influence de la France et que c’est à elle de s’atteler à la résolution des problèmes dans cette zone.

Slate Afrique - Ces mouvements ont-ils une idéologie et un agenda communs ?

M.G. - Il existe clairement des liens, des échanges, une idéologie commune entre les islamismes et djihadismes de la région : Aqmi (al-Qaida au Maghreb islamique) au nord, les islamistes shebab somaliens à l’est et Boko Haram au sud.

Il y a des échanges d’expertise et de combattants qui sont attestés. Mais pas de quoi parler de risque de jonction ou de volonté de créer une sorte de « pan-Etat » qui s’étendrait du nord malien jusqu’au sud du Nigeria, non. Cela n’a jamais été envisagé.

Entre les deux, il y a quand-même le Niger et le Burkina Faso, des Etats qui ne le permettraient pas. D’autant plus que Boko Haram a plutôt un agenda local. Ils luttent essentiellement pour l’autonomie, voire l’indépendance du Nigeria du nord.

Ce mouvement a plutôt comme modèle le Soudan. Il estime que la situation au Nigeria avec un nord musulman et un sud chrétien est très analogue à celle du Soudan avant sa partition entre un Soudan du nord musulman et un Soudan du sud chrétien. L’objectif et l’agenda de Boko Haram est plutôt de parvenir un jour à cette configuration.

Alors que les autres groupes, à savoir les shebabs somaliens et les Touaregs islamistes recherchent la création d’un Etat islamique avec application de la charia (loi islamique) sur l’ensemble du territoire national.

Donc l’on ne va pas vraiment vers une jonction panislamique ni sur un agenda global. On se situe dans un agenda local, au mieux régional restreint. C’est ce qui permet la réticence américaine.

Seule une menace globale touchant à leurs intérêts un peu partout pourrait les préoccuper. Ni Aqmi, ni Boko Haram, ni les Shebabs ne visent les intérêts américains partout dans le monde.

Slate Afrique - N’ont-ils pas pour objectif d’appliquer la charia sur tout le continent ?

M.G. - Pour l’instant, cela ne s’est pas vu. Boko Haram a comme objectif prioritaire un Etat islamique au nord, si possible indépendant, tout au moins le plus autonome possible avec application de la charia dans ses frontières.

Les Shebabs, eux, souhaitent que cette application de la loi islamique s’étende à toute la Somalie. Les Touaregs, selon l’accord qu’ils veulent obtenir, souhaitent un Etat islamique au nord du Mali avec application de la charia sur cette aire.

Slate Afrique - Peut-on envisager une solution durable dans le nord du Mali, sans implication de l’Algérie ?

M.G. - Cela s’avère très compliqué, d’abord parce que l’Algérie est un acteur traditionnel et historique du conflit touareg au Mali. Elle a été quasiment de tous les accords depuis les années 90.

C’est elle qui a encadré tous les accords politiques avec le gouvernement malien. Il y a donc une légitimité historique et une expérience politique importante de l’Algérie dans la gestion du dossier touareg dans cette région-là.

Et je ne vois pas comment l’Algérie pourrait être écartée d’un règlement de la question, que ce soit au nord du Mali, et même au-delà, depuis le chamboulement libyen.

Il faut savoir que les Algériens ont leurs propres objectifs dans cette affaire-là. Ils ont une politique assez prudente parce qu’ils ne veulent pas s’aliéner leurs propres touaregs. Pour rappel, toute la région de Tindouf (sud-ouest de l’Algérie) jusqu’au sud, est peuplée de Touaregs. Jusqu’à présent, les Algériens ont opté pour une politique d’intégration, voire d’assimilation des Touaregs dans le paysage politique local.

La présence à ses portes d’un Etat ou d’une entité autonome touareg pourrait donner faire des émules en Algérie. Tout ceci fait que l’Algérie est très prudente sur ce dossier. Prudente, mais incontournable. Elle ne voudrait pas non ouvrir, chez elle, la boîte de Pandore.

Slate Afrique - Ce conflit a-t-il aussi d’importants fondements économiques ?

M.G. - L’aspect économique n’est pas négligeable. Ce conflit touareg au nord du Mali avec ses prolongements régionaux et internationaux recoupe des enjeux économiques importants sur le plan de l’extraction du fer, de l’or et divers minerai.

Ces régions ont été sondées et l’on sait qu’elles sont riches en pétrole. Ne manquent plus que le forage et l’exploitation.

Si les Touaregs prennent le contrôle du nord malien et que les autres pays laissent faire, une force économique naissante se profile. Ces intérêts économiques majeurs pourraient bouleverser la donne dans une région à stabiliser.

En arrière-plan de l’objectif de stabilisation de la région, il y a donc un objectif d’exploitation économique corolaire.

Propos recueillis par Pierre Cherruau et Abdel Pitroipa

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