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Discours royal : le diable se cache dans les détails

in "Slate Afrique", le 11 mars 2011

dimanche 13 mars 2011, par Tilelli

Mohammed VI a annoncé une « réforme constitutionnelle globale ». Reste à savoir si son allocution à portée historique apaisera pour autant la contestation.

Dans un audacieux discours à la Nation, le roi du Maroc a apporté sa réponse à la plus importante revendication exprimée dans le royaume : une réforme globale de la Constitution que le monarque place avant tout dans le sillage « grands chantiers » qu’il a initiés pour la « modernisation [...] (des) institutions » et qui est, a minima, censée corriger les « dysfonctionnements » de l’architecture institutionnelle actuelle.

La promesse d’un séisme institutionnel

Cette anticipation du Palais a néanmoins été imposée par le vent de révolte qui a déjà balayé plusieurs pays arabes. Le 20 février, plusieurs centaines de milliers de Marocains, inspirés par les révolutions tunisienne et égyptienne, étaient descendus dans les rues pour réclamer des réformes politiques majeures, dénoncer la prédation économique et les abus de pouvoirs de l’entourage royal et du gouvernement.

Une première dans le royaume, car jamais la Couronne n’avait été ainsi mise sur la sellette par la rue.

Mohammed VI avait d’abord répondu par la fermeté et fait savoir qu’il refusait de « céder à la démagogie et à l’improvisation ». A contrario, son discours du 9 mars, le plus prospectif qu’il a eu à prononcer depuis son accession au trône en 1999, promet un véritable séisme institutionnel.

Il constitue incontestablement un tournant dans l’histoire du Maroc moderne. Le roi a ainsi annoncé la formation d’une commission chargée de préparer des propositions d’ici le mois de juin en concertation avec les partis politiques, les syndicats et les organisations de la société civile.

L’émergence de la notion de citoyenneté

La future Constitution devra répondre à un catalogue précis d’impératifs de séparation et d’équilibre des pouvoirs : un Parlement issu d’élections libres, un gouvernement émanant de la volonté populaire exprimée à travers les urnes, un Premier ministre aux prérogatives renforcées et chef d’un Exécutif effectif nommé au sein du parti politique arrivé en tête des élections, une justice élevée au rang de pouvoir indépendant, des instances locales réellement représentatives et la garantie des libertés individuelles et collectives dans leur acception universelle.

Tout cela va dans le sens du renforcement de l’Etat de droit, consacrant ainsi l’émergence de la notion de citoyenneté, en opposition au statut actuel du Marocain, toujours considéré comme un sujet de Sa Majesté.

Faut-il rappeler que si le Maroc se définit comme une monarchie constitutionnelle, celle-ci demeure dans les faits de droit divin, et que le roi, personne sacrée et inviolable, dispose de pouvoirs considérables, dont celui de dissoudre le Parlement, de décréter l’état d’urgence et de choisir le Premier ministre ?

L’allocution royale pourra-t-elle apaiser les actions de protestation ?

Les revendications exprimées notamment par le « Mouvement du 20 février » auxquelles répond indirectement le roi —il fait en effet référence à la jeunesse— sont en réalité anciennes. Elles ont été portées par la majorité des partis constituant ce que l’on appelait jusqu’à récemment l’opposition historique.

La réponse royale abonde dans leur sens parce qu’elle rompt, sur le principe, avec le concept de monarchie exécutive, le cœur du mode de gouvernance défendu jusqu’ici par Mohammed VI. Cependant, il n’est pas question de changement de régime : ce que propose le roi n’est pas une monarchie parlementaire.

Des non-dits qui appellent à la vigilance

Mais le diable se cache dans les détails concernant cette proposition de « compromis » dans la continuité, comme la définit Mohammed VI lui-même.

Il n’y aura pas de Constituante qui mettrait à plat le régime (révocation de l’actuel gouvernement, dissolution du Parlement, etc.) et redéfinirait les contours d’un nouveau pacte social, mais la mise en place d’une commission ad hoc d’experts choisis par le roi, perpétuant la tradition féodale du principe d’imposition par le haut.

Peut-on penser que sa marge de manœuvre est déjà réduite puisqu’elle devra remettre sa copie à l’appréciation du roi avant d’être soumise à référendum ? Dans ce cas, le débat public sera-t-il ouvert —sous la coupole du Parlement et dans les médias notamment— pendant sa genèse, ou se limitera-t-il à des tractations en coulisses ?

Le Premier ministre, quoiqu’issu d’un processus électif —ce qui, dans la pratique, est déjà le cas— sera toujours nommé par le roi « au sein » du parti vainqueur des législatives, malgré une promesse de « consolidation » du principe de séparation des pouvoirs.

Le Conseil du gouvernement sera certes « constitutionnalisé », mais quid du Conseil des ministres, présidé par le roi ? Quel sera le rôle de la kyrielle de Commissions royales consultatives et des Fondations en charge de missions régaliennes ?

Les ministères de souveraineté seront-ils bannis ? La puissance effective de la Maison royale et du Cabinet royal sera-t-elle confinée aux seules affaires et attributions de la famille régnante ?

La sacralité du roi est gravée dans le marbre et demeure non négociable. A qui s’applique alors le "principe de reddition des comptes" ? Le roi définit lui-même le périmètre des réformes acceptables, et la laïcité est écartée puisque l’islam demeure la religion d’Etat.

Sur ce point, le roi parle plutôt de « reli Des non-dits qui appellent à la vigilancegion de l’Etat garant de la liberté du culte ». Est-ce à dire que le choix confessionnel n’est plus verrouillé à la naissance ? C’est-à-dire de naître forcément musulman et de le rester, à défaut d’être juif ?

Le roi parle d’« élargissement du champ des libertés individuelles et collectives » et du « renforcement du système des droits de l’Homme ». Elargir un champ ou renforcer un système n’implique pas forcément leur consécration totale, telle que définie dans la déclaration universelle des droits de l’Homme, ou telle qu’inscrite dans les chartes onusiennes.

Pourra-t-on dans ce cas considérer que les libertés seront acquises dans les choix de vie, les lignes rouges effacées du Code de la presse, les délits d’opinion abrogés ?

La pluralité de l’identité marocaine sera inscrite dans la Constitution, mais les langues amazighes seront-elles pour autant élevées au rang de langues nationales ? Qu’en sera-t-il de l’identité « arabo-musulmane » de la nation, qui va de pair avec le socle de légitimité du monarque, Commandeur des Croyants ?

Les recommandations de l’Instance équité et réconciliation (IER) seront-elles totalement appliquées, que ce soit par l’établissement de toute la vérité sur les exactions passées, par la reconnaissance et le pardon prononcés par le chef de l’Etat et par le jugement des tortionnaires et des responsables (dont certains occupent encore des fonctions importantes dans l’appareil sécuritaire) ?

Mohammed VI parle de ne retenir que les recommandations « judicieuses » de l’IER, laissant encore possible la sanctuarisation des corps constitués et de l’armée, dont il resterait sans doute le chef suprême.

Enfin, l’option médiane entre large autonomie au Sahara Occidental et régionalisation poussée suffira-t-elle à calmer les ardeurs identitaires ? Le cadre d’un modèle d’Etat mi-régional, mi-fédéral voulu par Mohammed VI, et dans lequel des régions autonomes sont scellées au royaume par leur allégeance au monarque pourra-t-il mettre un terme à l’enlisement du dossier saharien ?

Autant de questions et bien d’autres encore, comme celle de la gouvernance économique et de l’affairisme de certains au sein des premiers cercles du pouvoir appellent à la vigilance, tant cette « révolution de Palais » n’est que la charpente d’un rééquilibrage des pouvoirs institutionnels attendu depuis des lustres.

Il faudra à ses concepteurs un doigté d’orfèvre pour concilier les ambitions du peuple avec ce qu’est disposé à concéder le roi.

En attendant, le temps de répit que se donne Mohammed VI sera comblé par la relance du débat populaire, y compris dans la rue.

Ali Amar

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