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Le Mouvement des Touareg du Mali face au pouvoir central

Le Matin Dz, le 3 février 2012

vendredi 3 février 2012, par Tilelli

Le gouvernement malien a subi jeudi un mini-réaménagement, avec la permutation des ministres de la Défense et de la Sécurité, tandis que ses représentants rencontraient à Alger des rebelles touareg qui mènent depuis mi-janvier une vaste offensive contre l’armée dans le nord du Mali.

Aux termes d’un décret du président Amadou Toumani Touré rendu public jeudi soir, les ministres de la Défense et de la Sécurité intérieure ont échangé leurs postes. Le général Sadio Gassama, précédemment ministre de la Sécurité intérieure et de la protection civile, a été nommé ministre de la Défense et des Anciens combattants.

Natié Pléa, qui détenait ce portefeuille de la Défense, est quant à lui devenu ministre de la Sécurité intérieure. Le ministre malien des Affaires étrangères, Soumeylou Boubèye Maïga, a quant à lui entamé jeudi à Alger des discussions avec des délégués de l’Alliance du 23 mai, dont des membres combattent aux côtés du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) contre l’armée dans le nord malien. Alger n’a ni confirmé ni démenti l’existence de tels pourparlers.

Les rebelles ont attaqué plusieurs villes : Ménaka, Aguelhoc et Tessalit, puis Léré et Niafunké. Ces attaques ont fait plusieurs morts et blessés des deux côtés, chaque camp faisant état de lourdes pertes chez l’adversaire, mais leurs bilans sont difficiles à confirmer de sources indépendantes. Les assauts ont provoqué l’exode de milliers de personnes, qui ont trouvé refuge dans des campements au Mali, mais aussi au Niger et en Mauritanie.

Le Mouvement Azawad : Eclairage

Les attaques de plus en plus violentes de ce mouvement mettent visiblement en mal la suprématie militaire dont parle le président de la République malienne. Du coup, la planification et la stratégie de gestion de la crise sont rendues inopérantes et le mécanisme classique, qui a servi depuis les indépendances à réduire au silence les "velléités touareg" s’enraye devant l’avancée des troupes du MNLA.

À la faveur de la destruction de la Jamahiriya arabe libyenne du colonel Mouammar Kadhafi par les forces de l’OTAN, la Tashumara s’est dotée d’un important armement lourd provenant des casernes libyennes et un stock d’armes légères récupérées ou payées à des trafiquants d’armes. Aussi, les moyens militaires qui permettaient jusque-là à faire prévaloir la suprématie militaire de l’Armée malienne ne sont plus désormais l’apanage de celle-ci. Au risque de voir une partie du territoire national passée sous le contrôle du mouvement indépendantiste du MNLA ou désertée par les forces armées et de sécurité en déroute et les administrations déconcentrées, les autorités maliennes lorgnent du côté des voisins et s’activent sur la scène internationale pour trouver à compenser par d’improbables soutiens ce qui a tout l’air d’être une débandade, voir une panique généralisée.

Le don de perdre le Nord

Dès la première révolte dans l’Adagh en 1963, l’option militaire deviendra une constante de la gestion du conflit avec les régions nord du pays. Si une grande majorité de maliens se rappelle ou ont appris de leurs prédécesseurs, certains avec une certaine fierté, la répression sanglante menée par l’Armée malienne, très peu sauront dire les raisons qui ont poussé à cette révolte. Les autorités de Bamako passeront en effet sous silence les revendications des rebelles d’alors tout en créant un ressentiment très fort parmi les populations de l’Adagh dû aux innombrables crimes de guerre et les humiliations perpétrés ou commises par les forces armées. Les rébellions des années 1990 à 2009 donneront toute la mesure de l’option de la force, qui révélera par ailleurs une Armée nationale très peu soucieuse des règles d’engagement et de professionnalisme.

Confiant en l’efficacité de sa stratégie de gestion de la "crise du nord", Bamako va procéder rapidement à un important déploiement des forces militaires dans les régions nord du pays dès les premiers communiqués du MNLA appelant au dialogue. Et tout en prenant l’initiative des hostilités par un fort engagement de ses troupes militaires dans les combats, avec pertes et fracas pour le moment, le gouvernement mène parallèlement son jeu favori, c’est-à-dire la diplomatie très officieuse de la division. Cette politique devient un des axes principaux de la stratégie gouvernementale de contrainte au silence les aspirations du peuple azawadien. Conduit de façon insidieuse et très peu subtile, cette « diplomatie » de bas étage n’est pas sans révéler pour autant la grossièreté et la malveillance des intentions.

Dans cette approche de la « crise du nord » combinant la force militaire et une politique de division, l’État va consolider davantage sa stratégie à la faveur de chaque épisode de cette crise avec la certitude d’en finir à terme avec ses "fils égarés". Les instruments de cette logique déloyale vont être les notables et les chefs de tribus du nord, les milices, les "intégrés", les associations contre l’esclavage, les pays voisins, les observateurs et les médiateurs. Tous seront mis à profit de façon concomitante dans une logique de destruction qui ne dit pas son nom. Toutefois, si une partie de ces protagonistes sont par nature difficiles à instrumentaliser, l’autre sera absorbée dans cette logique machiavélique au point de rompre, pour un certain nombre, avec les aspirations même de leurs peuples et en devenir les premiers ennemis. Ils seront utilisés à l’envi pour torpiller les revendications légitimes des rébellions successives, revendications censées apporter une amélioration à leurs conditions de vie.

Les représentants traditionnels

Pendant que les troupes militaires avec un impressionnant arsenal de guerre sont acheminées vers le nord du pays pour prendre position sur les lignes de démarcation et pour renforcer les effectifs des villes-centres, l’État au même moment mandate et dépêche vers les bases indépendantistes ses émissaires pour prendre langue avec l’armée de libération de l’Azawad, qu’il continue néanmoins à traiter de "bandits armés". Ces "négociateurs" des heures de braises sont étonnamment toujours les mêmes : les notables et les chefs de tribus de ces mêmes régions en ébullition. Faudrait-il souligner que l’État du Mali ne reconnaît d’autres structures institutionnelles et administratives que celles issues de sa constitution. Les représentants traditionnels ont en effet aucune existence légale et, par le passé, ont même été vivement découragés à s’ériger comme la voix de leur communauté. L’État utilisera cependant pleinement la carte des représentants des structures traditionnelles pour instiller le tribalisme (en infraction avec ses principes et ses propres lois) au sein du mouvement, qui à l’origine était uni et solidaire par le seul faite des aspirations de l’ensemble du peuple du nord.

Il s’est agit, en effet, d’opposer à la légitimité des mouvements de l’Azawad de parler au nom de l’ensemble des communautés du nord une légitimité traditionnelle. Les arrière-pensées politiques espéraient, en outre, une confrontation entre cette médiation et ceux qui oseraient ne pas l’écouter ou prendre en compte ses bons offices. Les chefs de tribus et les notables ayant été "gratifiés de l’honneur" que leur faisait le gouvernement ne pouvaient pas perdre la face dans leur mission de médiation ou de porteur des messages du gouvernement. L’État les chargeant ainsi d’une mission impossible escomptait à chaque fois un triple bénéfice : le renseignement, la pression (rôle de modération car représentants de leurs communautés) et la division (impacter par leur statut même les revendications de la résistance). Ils vont apparaître dès les négociations de Tamanghassat et seront un acteur permanent de toutes les négociations futures. Ils ont été un des moyens de l’État pour faire imploser la rébellion des années 1990 à 2009. Aujourd’hui encore, ils sont sur pied de guerre dès les premiers balbutiements du conflit en cours, pour quel résultat ? L’avenir nous le dira.

Les "intégrés"

A la faveur des accords de paix signés entre l’État et les rébellions successives, les ex-combattants de fronts dissous ont été incorporés dans les rangs de l’armée, et dans différents autres corps de l’administration. Affectés sur des postes sur l’ensemble du territoire national, ils se sont installés dans le système de carrière inhérent à toute administration. Pris dans la machinerie de la fonction publique avec sa hiérarchie et son autorité, une très grande majorité de ces fonctionnaires a ainsi complètement été tenue loin la lutte, et pour un certain nombre, avec la réalité du terrain. Très peu ont investi dans leurs régions d’origine et l’interdiction du cumul des activités en cours dans la fonction publique d’État et le droit de réserve a pu certainement empêcher de la part de ces agents à initier des projets de développement ou des mouvements culturel et politique pour faire entendre la voix de la lutte qui les a mené aux fonctions qu’ils exercent. Ils ont parfaitement fondu dans l’État centralisé qu’ils ont pourtant combattu les armes à la main. Par cette intégration, que certains de leurs compatriotes avaient dénoncé à l’époque comme étant discriminatoire vis-à-vis des autres composantes de la nation, notamment les jeunes diplômés au chômage, l’État a réussi, par un tour de passe-passe bien réfléchi, à faire taire cette élite privant ainsi les régions du nord de ses ressources humaines les plus engagées politiquement et idéologiquement tout en concédant, sans trop s’en faire de souci quant aux conséquences de cette décision, un statut particulier à ces régions.

Les rébellions passées avaient commis le péché capital de n’avoir pas su initier une organisation civile ou politique capable de porter les fruits de leur combat. La branche politique, réduite à quelques braves négociateurs, en paraphant les accords avait certes fait avancer les choses, mais n’était nullement en mesure d’en imposer l’application en raison de l’absence de structure de suivi digne de nom. Malheureusement, les accords seront tombés dans l’oubli faute à la fois de la déloyauté de la partie gouvernementale, mais également le manque d’organisation politique et culturelle de la rébellion à même de faire pression dans ce sens. Ceux qui ont lutté pour arracher ces accords n’ont pas su en tirer profit par le manque de personnes ressources et par faute surtout d’un cadre de réflexion et de suivi. L’actuelle génération des combattants, convaincus d’avoir en face une politique machiavélique et déloyale, semble comprendre que lorsque les politiques qui portent les revendications du peuple ne s’appuient sur des principes et une organisation solide inscrite dans la durée, la lutte n’aboutirait de toute évidence à aucune victoire réelle, tangible et pérenne.

Au sein de l’armée nationale, un certain nombre des intégrés (comme on les a appelés pendant longtemps) a été même promu à des postes de commandements. La reconnaissance de la nation a finit de forger parmi ces anciens rebelles une loyauté sans faille. Ironie du sort, ils se retrouvent aujourd’hui en première ligne, face à leurs frères de sang et d’armes d’hier qui ont repris les armes contre les autorités de ce qu’ils considèrent désormais ni plus ni moins qu’un pays d’occupation. Ayant pris désormais fait et cause pour la vision étatique, ces ex-combattants des fronts dissous ont perdu de vue la légitimité même de toute revendication venant de ceux qui dénoncent les manœuvres des autorités pour ne pas appliquer les accords signés.

L’emploi des brigades mixtes MFU/armée va être la première manifestation de cette volonté publique. Créées pour instaurer un climat de confiance entre les ennemies d’hier et pour ramener la paix, elles vont être utilisées comme fer de lance contre la contestation des fronts qui ont déclarés leur hostilité aux termes du Pacte. Pendant ce même temps, l’armée et ses milices s’adonnaient en toute impunité à des crimes atroces contre les populations civiles.

Les milices armées

Dans sa doctrine de la division, l’État veut régner non pas par le consensus entre tous ces citoyens, mais par la guerre entre les uns et les autres et la mort d’une région qui n’empêcherait pas le reste du pays de rester débout et aller de l’avant. Le septentrion du pays va être opposé au sud, le nomade au sédentaire ; la communauté, l’ethnie et la tribu deviennent les nouveaux partis d’une République à la dérive où les barreurs ont jeté par-dessus bord le compas et la boussole.

C’est dans ce contexte que vont naître la milice tristement célèbre Gandakoy lors de la rébellion des années 1990 et, plus récemment, le Ganda Iso (formées de brigades d’autodéfense, ce qui était loin d’être vrai), qui a défaut de s’allier l’ensemble de la communauté Songhoy a néanmoins réussi à se faire rallier par beaucoup de jeunes de cette communauté et de la communauté Peulh ainsi que certains touareg noirs. Par ailleurs, et avec l’entremise de certains notables et militaires intégrés, des supplétifs de l’armée composés de maures et de touareg participeront activement à la stratégie gouvernementale d’opposer des voisins et des frères de sang.

Les milices armées ont été suscitées à la faveur d’une propagande bien orchestrée qui a visé à faire croire que les aspirations des rébellions maures et touareg étaient dirigées contre l’intérêt des autres communautés du nord et de l’ensemble de la nation malienne. Cette stratégie de division visait à faire paraître aux yeux des populations ces revendications, faites pourtant exclusivement au nom des régions du nord, comme la conquête de privilèges au nom d’une seule communauté.

Face à ses difficultés sur le théâtre des opérations, les milices deviennent des supplétifs nécessaires. Elles seront manipulées par l’Armée et utilisées pour la surveillance, la délation et les massacres arbitraires, pour distiller encore plus profondément et pour très longtemps la division entre les peuples du nord. Elles joueront ainsi un important rôle pour isoler, notamment, le peuple Songhoy de la lutte pour la reconnaissance des droits et le développement des régions nord du Mali. Une adhésion de la population Songhoy, forte d’une intelligentsia importante, à la lutte menée par la rébellion aurait complètement changé la configuration du conflit et contraint le gouvernement à prêter une attention beaucoup plus forte aux désidératas des régions nord. Ainsi, une certaine partie de cette population, devenue sensible aux sirènes de la passion et de la haine, entretenues par des hommes de main (déserteurs de l’armée) de Bamako, va répondre présente aux appels de cette manipulation grotesque aux conséquences malheureusement irrémédiables par le pays qui, au lieu de chercher des solutions réelles pour résoudre le conflit, participe davantage à en accentuer les difficultés.

L’objectif recherché était de faire porter (au nom de la défense du territoire national, autre manipulation et mensonge), une grande part, l’effort national de guerre aux populations du nord en les dressant les uns contre les autres, sans même se préoccuper de ses propres responsabilités quant aux conséquences et effets de cette politique pour la région et ses habitants.

Ces milices, constituées, armées et entretenues par l’Armée malienne, ne revendiquent rien, elles obéissent aux ordres et officient suivant la liberté qui leur est laissée. Elles n’ont aucune politique ni aucune vision de l’avenir et s’adjugent inconsciemment le mauvais rôle. Elles se battent contre la paix car elles se battent contre un ennemi qui n’est pas extérieur. L’État s’est défaussé de sa responsabilité, ce qui leur donne un semblant de légitimité dans un conflit qui relève de la seule responsabilité de l’État au travers de ses forces de défense et de sécurité, en raison même de son caractère purement intérieur.

Les pays voisins et le médiateur algérien

Le Mali a fait appel, dès les premiers actes posés par la rébellion, à tous les pays frontaliers pour résoudre le conflit. L’embrasement de la sous-région a été mis en avant pour convaincre et associer ces derniers. Plusieurs rencontres ont lieu à cet effet. Mais le plus grand effort dans ce sens sera fait en direction de l’Algérie. Acceptée par les deux parties, l’Algérie va assumer le rôle de médiateur entre les mouvements maures et touareg et la partie gouvernementale, depuis le début du conflit. Cette dernière partie a toujours salué cette médiation, pour deux raisons : ainsi cantonnée dans ce rôle de médiation et de garant des accords, l’Algérie ne pouvait dès lors ni apporter son soutien à la partie rebelle ni lui servir de bases arrière. Liée par son statut, elle pourrait tout au plus aider à l’apaisement et au règlement de la question. Situation certes réconfortante pour la partie gouvernementale dans son approche d’encerclement, mais néanmoins assouplie dans sa rigueur, au bénéfice de la rébellion, par les solidarités millénaires entre les populations des régions sud algériennes et nord du Mali.

À cette doctrine d’encerclement qui consister à faire entendre la voix de tous ceux qui peuvent de l’intérieur aider à faire péricliter les positions du mouvement, vient s’ajouter une nouvelle ligne visant à discréditer ce dernier vis-à-vis de la communauté internationale en l’assimilant aux groupes terroristes en œuvre dans la région. Une campagne de dénigrement est actuellement orchestrée par les canaux officiels et fidèlement relayée, telle une vérité révélée, par les médias.

L’art du silence et la politique du mensonge

Dans son souci de s’attirer le soutien de la communauté internationale, très sensible en ce moment aux questions du terrorisme, Bamako n’hésite pas à déclarer officiellement l’existence de liens entre le MNLA et Aqmi. Est-ce une nouvelle ligne dans la tactique du gouvernement de porter sur un plan international un conflit qu’il a toujours voulu inscrire dans un cadre national et juguler en interne ? Quoi qu’il en soit, cette approche, à l’heure actuelle, ne semble pas trouver un l’écho favorable auprès de certains pays de la sous-région ou d’ailleurs. Par ailleurs, les prétendues connexions entre le MNLA et l’organisation djihadiste trouvent leurs propres limites dans la politique même de l’État de créer l’indifférence au tour de la problématique liée au conflit au nord en érigeant en véritable doctrine l’omerta au tour de cette question.

Qui veut se débarrasser de son rebelle l’accuse de terrorisme

L’État malien et ses relais d’information cherchent à créer un lien évident entre le mouvement indépendantiste de libération de l’Azawad et le mouvement terroriste Aqmi. Il n’y a pas une seule information ou un seul article de presse traitant de la guerre avec le MNLA qui ne fasse état d’une collusion étroite entre ce dernier et l’organisation religieuse étrangère ou ne tente, d’une manière insidieuse, à le faire croire.

Aujourd’hui, comme par le passé, les autorités cherchent les moyens de passer sous silence les revendications des populations du nord. Tous les moyens sont ainsi bons pour discréditer son adversaire et le placer, en l’occurrence, dans le viseur de la communauté internationale. La méthode qui consisterait pour Bamako, à chaque fois qu’elle se trouve confrontée aux frustrations d’une partie du corps national, de vouloir l’infantiliser et n’y voir que des marionnettes manipulées depuis l’étranger n’est pas de nature à apaiser ni la situation ni à aboutir une solution négociée et définitive aux problèmes qui se posent. Déjà en 1963, avec la révolte dans l’Adghagh, les autorités faisaient état de la présence de mercenaires français aux côtés des rebelles ou encore la fourniture des revolés en armes de fabrication italienne venant de la Libye. La main de la France, la manipulation de la Libye, le double-jeu de l’Algérie vont émaillés aux yeux du Mali les aspirations de l’Azawad depuis les indépendances. Cette théorie du complot, favorable à une certaine légitimation de la répression, est devenue une constante dans la stratégie gouvernementale.

Avec la disparition de la Libye du colonel, parrain désigné, à tort, de toutes les rebellions au nord du pays, le Mali veut créer une identité entre le MNLA et le djihadisme d’Aqmi, groupuscule de quelques dizaines d’hommes voué à une inexorable disparition tant le contexte et les mentalités ne se prêtent à son essor au nord Mali. En effet, comme il paraît impossible de porter la lumière sur la prétendue main invisible de la France et qu’il n’est pas, outre mesure, question de froisser en rien la susceptibilité du grand voisinalgérien (quoi que cette dernière semble être désignée, entre les lignes, comme le manipulateur), le Mali n’hésite pas à affubler ses propres populations des habits du terrorisme pour les voués à la colère de la communauté internationale.

Mais cette tentative, qui au fond n’a d’autres intentions que de pervertir les revendications du MNLA, sera balayée immédiatement par certains pays. En effet, les assertions de Bamako seront démenties catégoriquement par Paris, Nouakchott et Alger. Le ministre français à la Coopération, Henri de Raincourt, a été la première voix officielle a porté un démenti à l’information selon laquelle Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et la rébellion touarègue agissaient de concert dans les combats dans le nord du Mali : "Il faut faire une différence entre les difficultés nées de la situation des Touaregs et des relations avec le pouvoir central et (celles nées) de la situation d’Aqmi. Ce n’est pas la même chose, d’ailleurs les deux ne collaborent pas ensemble, ne travaillent pas ensemble". C’était au tour de Hamadi Ould Baba Ould Hamadi, ministre mauritanien des Affaires étrangères et de la coopération, de démentir l’existence d’éventuelles liaisons entre les touareg et Aqmi. Répondant, le 29 janvier dernier, aux questions de RFI depuis Addis Abéba à l’ouverture des travaux de la 22eme session du conseil exécutif de l’Union africaine, le ministre indiquait : "D’abord les Touareg sont une communauté ethnique, ce qui n’est pas le cas des terroristes. Les Touareg au Mali sont chez eux, ce qui n’est pas le cas des terroristes. Les Touareg ont des revendications identitaires, ce qui n’est pas le cas des terroristes. Les Touareg n’ont jamais attaqué un pays étranger, ce qui n’est pas le cas, n’ont plus, des terroristes. Donc, à mon avis, il faut éviter de faire l’amalgame."

L’Algérie entend geler son soutien militaire direct au Mali, prévu pour lutter contre le terrorisme, pour qu’il ne serve pas à la guerre menée contre le MNLA. Position qui dément, par raisonnement a contrario, tout lien entre ce dernier mouvement et les groupuscules djihadistes d’Aqmi.

La passivité de l’Etat devant Aqmi

Ces déclarations interviennent après plusieurs démentis du MNLA au travers de communiqués et interventions de certains de ces membres. En outre, la non application des accords d’Alger de 1990 et de 2006, notamment en ce qui concerne, pour ces derniers accords, "la création en dehors des zones urbaines de Kidal d’unités spéciales de sécurité" chargée notamment des missions de reconnaissance, de patrouilles et d’intervention, met sérieusement en mal les déclarations des autorités maliennes. Plusieurs leaders et porte-parole des rébellions précédentes n’ont d’ailleurs pas manqué de dénoncer la passivité de Bamako face à l’avancée des terroristes dans les régions du nord et lever toute équivoque quant à l’amalgame que veut entretenir Bamako à leur égard. Le sanglant accrochage en 2006 entre l’ADC et le GSPC n’est pas sans signifier l’hostilité de la rébellion à l’égard du terrorisme djihadiste, accrochage suivi d’ailleurs de violentes représailles des terroristes qui fit plusieurs morts et blessés dans les rangs de la rébellion. Les combattants avaient à plusieurs reprises appelé Bamako à agir ou mettre à leurs dispositions les moyens de sécuriser le territoire national des trafiquants et des terroristes.

En outre, le contexte international ne semble pas du tout favorable au développement de l’extrémisme religieux dans les régions nord du Mali, haut lieu d’une pratique religieuse modérée et fortement ancrée. Les démocraties musulmanes naissantes à la faveur du printemps arabe sonneront à coup sûr le terrorisme dans le Sahel.

Créer l’indifférence autour du problème...

L’État malien a créé les conditions pour avoir les mains libres et agir dans l’indifférence générale. Par des accords, il rendra les pays voisins, sous couvert de la sécurité et la cohésion régionales, complices de sa politique de répression. Déjà en 1963, l’Algérie reconnaissante collaborera avec Bamako en remettant aux autorités du Mali les leaders de la révolte de l’Adagh.

L’acte le plus révélateur de cette politique sera le sommet quadripartite de Djanet, réunissant les 8 et septembre 1990 les chefs d’États malien, nigérien, algérien et libyen. Le compromis de Djanet (Djanet, Talghiwen Djanat..., comme il se disait à l’époque) va révéler d’emblée la volonté de Bamako, par le refus de toute négociation, de réprimer ("mater dans le sang") la rébellion naissante. En effet, "le renforcement du dispositif de contrôle et de surveillance au niveau des zones frontalières et la lutte contre les phénomènes migratoires clandestins" auxquels vont s’engager les parties suffisent à eux seuls pour dévoiler au grand jour la stratégie et la politique de répression auxquelles s’apprêtaient les États qui ont convoqué la conférence. Il s’agissait ni plus ni moins de parquer la contestation par une politique d’étouffement et la réprimer dans le sang et dans le silence du désert. Ces programmes ne verront pas le jour, cependant le cantonnement des populations pour mieux les contrôler visaient d’une part de priver la rébellion d’un potentiel vivier, d’autre part de les faire paraître comme des bandits ne luttant que pour des intérêts aventuriers et éviter par là même une internalisation du conflit (réfugiés sur leur propre terre). Le communiqué commun des partie à la conférence évitât soigneusement d’ailleurs ne faire aucune mention du peuple touareg. Bamako et Niamey étaient persuadées qu’ils pouvaient dès lors venir à bout de ces bandits armés à moindre frais et sans accord qui prendrait en compte leurs revendications et sans jamais rendre audible les aspirations du peuple touareg.

L’État s’est toujours comporté en sorte d’affaiblir la partie rebelle avant d’entamer toute négociation. La solution strictement militaire à la question, sous le prétexte de la défense de la souveraineté nationale et de l’intégrité du territoire, sera l’option première. Fer de lance de cette politique de répression, l’Armée finit par échouer dans sa mission. Tenues en échec sur le théâtre des opérations avec beaucoup de pertes en vies humaines et en matériel de guerre par une poignée d’Ishoumar, les forces armées vont s’illustrer par des massacres de populations civiles et autres crimes de guerres.

Avec la chute de la dictature, les accords de Tamanghassat seront enterrés avant qu’ils même aient reçu un début d’application. L’opération Koka-djè (laver proprement) de l’Armée malienne va recevoir l’ordre d’« extraire » du corps social national les populations blanches (considérée du coup comme des tâches malpropres, une salissure) par d’innombrables tueries et par la fuite des survivants vers les camps de réfugiés en Mauritanie, en Algérie et au Burkina-Faso. La crise humanitaire qui s’est ensuivie aboutira à une forte médiatisation du conflit et lui donna une forme d’internationalisation, toutes choses qui conduiront aux négociations et aux accords du 11 avril 1992.

Un État oppose ses citoyens lorsqu’il n’est pas transparent. Lorsqu’aucune information officielle, une vérité historique ou une réalité économique ne vient donner, dans un contexte de tension, le change aux esprits surchauffés, la haine et la violence deviennent inéluctables. Lorsqu’on cherche à résoudre les problèmes d’une nation dans le secret des cabinets ministériels ou au sein des seuls états-majors des armées on finira un jour par rencontrer, dans le meilleur des cas, l’opposition du peuple. À force de tenir le mystère sur la situation qui prévaut sur le terrain et verrouiller l’information, l’État malien laisse libre court aux rumeurs les plus folles et les plus folles envies commencent à s’exprimer. Situation qui affecte les populations, qui se retrouvent aujourd’hui dans une situation d’incertitude et de peur comme par le passé. Les premières manifestations de violence qui viennent d’affecter de paisibles populations vivant au sud du pays pour le seul tort d’être maures ou touareg est une conséquence du mutisme du gouvernement actuel, qui continue à se claquemurer dans un silence coupable.

Ce mutisme n’est pas fait pour honorer la démocratie malienne acquise au prix de lourds sacrifices consentis. Ce manque de communication des autorités civiles et militaires, s’il révèle d’un stratagème de ne pas faire état des acquis des luttes des kel Azawad et leurs négligences à les faire respecter, reste néanmoins contraires aux principes démocratiques et aux droits fondamentaux des citoyens. À l’heure de céder sa place à la tête de l’Etat, ATT voudrait-il, lui qui a été le fossoyeur des premiers accords de Tamanghassat et l’artisan des opérations Kokadjè qui feront vivre les pires moments de leurs existences aux populations du nord Mali au mépris de la démocratie qu’il a pourtant aidé à installer dans le pays, ATT voudrait-il donc laisser derrière lui un chaos non moins grave que ces épisodes sombres de l’Histoire du Mali. Il faut espérer que non !

Hamdy Ag Amadene/AFP

- Lire l’article sur le site du Matin-dz

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