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GUERRE AU MALI- Le voisin se désintègre

Sudonline, le 27 janvier 2012

vendredi 27 janvier 2012, par Tilelli

Le vacarme du microcosme politique de Dakar refoule l’écho des détonations des armes chez le voisin. Et pourtant, le Nord-Mali est le théâtre d’une guerre dont l’intensité meurtrière est sans commune mesure avec les affrontements sporadiques en Casamance. Le film des chocs à répétition entre soldats maliens et rebelles touaregs reflète un embrasement soudain et généralisé, sur un terrain très inhospitalier pour les deux belligérants.

A la mi-janvier, le Président Amadou Toumani Touré (ATT) a donné le feu vert au chef d’Etat-major, le Général Gabriel Poudiougou. En un temps court, le décor a été planté par les logisticiens de l’armée. Un rapide balisage qui a permis le catapultage d’une impressionnante armada dans la ville de Gao. Un volume de forces jamais vu dans cette région qui – avec Kidal et Tombouctou – forme le septentrion malien ou Azawad dans la langue des Touaregs.

Plus de 200 véhicules, des effectifs colossaux de fantassins, des blindés de type BDRM et une dizaine d’aéronefs et d’hélicoptères d’appui sont en déploiement, chaque jour, plus avancé. Le commandement au grand complet, est transplanté sur la base aérienne de Gao. Les officiers les plus valeureux sont en première ligne sous l’autorité directe du Général Poudiougou et de son adjoint, le Général Traoré, patron de l’armée de terre.

Dans l’immensité désertique, rocailleuse, sablonneuse et montagneuse de l’Azawad, ce sont les Colonels Mohamed Ould Meydou et El Hadj Gamou qui ont repris, après de durs combats, la ville de Ménaka, dégagé la lointaine localité de Tessalit (frontalière de l’Algérie) et sécurisé l’indéfendable bourgade d’Aguel Hoc. Le choix de deux Colonels originaires du Nord (Meydou et Gamou) pour commander les colonnes qui livrent les combats, n’est pas le fruit du hasard.

Issus respectivement des communautés touarègue et arabe, les colonels-majors Gamou et Meydou sont des méharistes nés ; donc plus à l’aise dans le vaste désert, que les officiers bambaras venus des régions boisées du sud.

Toutefois, un coup de projecteur sur l’autre belligérant, à savoir le Front national de Libération de L’Azawad (Mnla) prouve que l’armée malienne n’est pas en villégiature dans le triangle Gao-Kidal-Ménéka, où les pertes variables en fonction des bilans additionnés, frôlent la centaine de morts et de blessés. Né de la fusion des débris des rébellions des années 90 et des recrues du Mouvement touareg du Nord-Mali (MTNM) de feu Ibrahim Bahanga, le Mnla est, sur le terrain, en alliance, avec le Mouvement populaire de l’Azawad (Mpa) d’obédience islamiste de Iyad Ag Gali. Objectif politique : la création d’un Etat touareg du Nord-Mali. Le syndrome du Sud- Soudan caresse-t-il l’Afrique de l’Ouest ?

A cette galaxie de dissidences, s’adjoint une fraction du contingent touareg de l’armée défaite et disloquée de Mouammar El Kadhafi, sous les ordres du Colonel (malien) Najim Ag Mohamed, rentré de Libye, en octobre dernier. Dans la zone, grouillent et grenouillent également les salafistes d’Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) qui l’ont transformée en pénitencier pour otages occidentaux. Bref, la rébellion touarègue et ses agrégats de tout acabit donnent du fil à retordre aux troupes de Bamako, sur un théâtre d’opérations trop étiré pour être quadrillé ou verrouillé efficacement. Pour donner un aperçu de l’étirement du champ de bataille de l’Azawad – comparativement à celui de la Casamance – c’est le scénario d’un engagement de l’armée sénégalaise à Nouadhibou (sans le soutien naval) ou à Koulikoro, 60 km après Bamako, qui s’impose à l’esprit. D’où le casse-tête logistique que résout, au quotidien, l’Etat-major malien pour soutenir l’effort de guerre dans le secteur de Tessalit où ses unités longent la frontière algérienne. Plus de 1500 km sont à parcourir pour les renforts en provenance de Bamako ou de Kayes. Voilà pourquoi l’armée du Niger – déployée massivement le long de la frontière avec le Mali – a expédié deux camions bourrés d’équipements au Général Poudiougou.

A ce paquet de difficultés, s’ajoute l’obstacle naturel qu’est le fleuve Niger. Certes, le pont de Gao assure le flux continu du matériel, du ravitaillement et du jet des troupes ; mais il y a toujours les impératifs de franchissement et de contre-franchissement de la voie d’eau qu’imposent les courses-poursuites entre l’infanterie motorisée de l’armée et la noria des Toyota de la rébellion. Car les villes de Mopti, de Hombori et de Gossi représentent des cibles potentielles.

Très vorace en effectifs, la guerre du désert est, aussi et surtout, la spécialité des « fils du désert ». Hier l’armée coloniale recrutait des méharistes et des goumiers dans les zones sahariennes de la Mauritanie, du Mali, du Sud algérien et du nord du Tchad. Aujourd’hui, le gouvernement de Bamako est en quête de supplétifs arabes et touaregs pour servir d’éclaireurs et d’auxiliaires à son armée. A cet effet, le Président ATT a tiré des geôles de la Sécurité d’Etat, le richissime homme d’affaires Mohamed Ould Awainatt, en contrepartie de l’engagement de sa tribu dans la guerre, aux côtés des forces gouvernementales. Une libération mal appréciée par l’opinion et la magistrature ; puisque ce notable touareg a été mêlé à l’atterrissage clandestin, non loin de Gao, en novembre 2010, du mystérieux Boeing (sud-américain) rempli de drogue.

C’est le premier craquement d’un Etat de droit qui joue sa survie face à une rébellion indépendantiste. Le deuxième craquement en cours découle d’une conjoncture militaire très fluide. Les villes changent de mains au fil des semaines. L’armée qui avait reconquis la garnison d’Aguel Hoc, à 170 km de Kidal, a été délogée par les assauts furieux du Mnla. Une donne qui a provoqué la stupeur et répandu la panique à Bamako. Ennemie jurée de la démocratie, la guerre assombrit l’horizon électoral, hypothèque le calendrier républicain et fait du Président ATT, un prisonnier du Palais de Koulouba. Adieu la présidentielle ?

Très réfractaires aux servitudes de l’administration territoriale que sont les impôts, le découpage de l’espace et la scolarisation, les Touaregs ont constamment fait craquer l’entité malienne. Une première rébellion déclenchée trois ans après l’indépendance du Mali (1963) sera jugulée par le capitaine Djiby Silas Diarra et le Lieutenant Jean Bolon Samaké. Au plan diplomatique, l’immense prestige de Modibo Keita et sa profonde amitié avec le Président Ben Bella hâtèrent le retour de la paix. Mais le précédent était là ; et servait de stimulante référence pour les générations suivantes, dans cette communauté forte de moins d’un million d’âmes, que la couleur blanche de la peau et les zones d’implantation et de nomadisation nettement excentrées, séparent de l’écrasante majorité des Maliens. Avant ATT, le Président Moussa Traoré a eu sa guerre de l’Azawad entre 1990 et 1991. Il échut au Président Alpha Oumar Konaré de faire la paix, en 1996, avec l’aide de deux facilitateurs : le Français Edgar Pisani et le Mauritanien Ahmed Baba Miské.

A cent jours de la fin de son deuxième et dernier mandat, ATT est confronté à une guerre dont les enjeux sont diversement décryptés par la classe politique (pré-campagne électorale oblige) et par une presse qui en fait son menu quotidien, à la fois par professionnalisme et par chauvinisme. Du monceau des discours et des éditoriaux, il ressort que la crise de confiance est croissante entre Paris et Bamako. En privé, les officiels maliens dénoncent la complaisance avec laquelle Rfi et France 24 relayent les communiqués des rebelles du Mnla, notamment les sorties fracassantes et anti-maliennes du porte-parole des rebelles en France, Moussa Ag Assarid, émigré anonyme jusqu’au déclenchement des hostilités, en décembre 2010. En outre, une thèse extrême dans certains milieux du Renseignement en Afrique, interprète la capture des deux Français Philippe Verdon et Lazarivic, comme un scénario de fausse prise d’otages qui a permis aux rebelles d’avoir aujourd’hui deux planificateurs militaires dans leurs rangs.

Plus à l’aise que le landerneau politique, la presse se déchaîne et s’enflamme sur le mode du nationalisme le plus violemment anti-français. Proche du candidat Ibrahim Boubacar Keita (IBK) le journal « l’Indépendant » (24 janvier) charge comme un buffle : « les gesticulations actuelles des médias français n’inquiètent nullement le peuple malien qui reste serein. Le Mali, que la France poignarde aujourd’hui, a fourni le plus gros contingent de « tirailleurs sénégalais » qui ont contribué à libérer la France de l’occupation allemande lors de la seconde guerre mondiale. Leurs héritiers qui se battent pour la liberté et l’unité de leur pays dans les confins sahariens, ont conservé la bravoure de leurs illustres devanciers ».

Au coeur de la discorde il y a, à la fois, une divergence de vues et un choc des agendas. Paris qui apprécie le dynamisme militaire de la Mauritanie du Général Aziz, déplore que l’armée malienne n’ait pas bougé contre les terroristes d’Aqmi, mais sort les gros moyens contre quelques centaines d’hommes. En revanche, Bamako considère que les rêves récurrents d’autodétermination de la communauté touarègue – auxquels les Français ne seraient pas totalement étrangers (1) – sont plus urgents à traiter par le feu, que les agissements d’une multinationale terroriste comme Al Qaida.

Avec la Guinée Bissau en transition sur une corde raide, la Guinée Conakry en panne démocratique (une année sans parlement), la Mauritanie dans la ligne de mire d’Aqmi et le Mali aux prises avec une rébellion dopée par le parfum de l’indépendance du Sud-Soudan et le jeu de la France, le Sénégal respire un air géopolitiquement pollué, à la veille d’une présidentielle elle-même polluée par la peur.

En tout cas, si le Mali frontalier de 7 pays (Algérie, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Mauritanie, Niger et Sénégal) se désintègre, les ondes de choc d’un tel bouleversement sous-régional, ébranleront les fondations de nombre d’Etats situés au nord et au sud du Sahara.

PS : dans ses mémoires intitulés « Au cœur du secret » publiés aux Editions Fayard, le Préfet Claude Silberzahn, ancien directeur de la DGSE (1989-93) promène un faisceau de lumière sur les rapports entre la France et les Touaregs.

Babacar Justin NDIAYE

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