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Libye : la révolution est-elle confisquée par le CNT

TV5-Monde, le 13 décembre 2011

vendredi 23 décembre 2011, par Tilelli

Le "peuple veut une nouvelle révolution", "le peuple veut faire tomber le Conseil de transition", ont scandé lundi 12 décembre 2011 les quelques centaines manifestants, réunis au centre de Benghazi, la ville d’où est partie la révolte libyenne contre Mouammar Kadhafi. Ces irréductibles veulent "corriger la marche de la révolution", parce qu’ils sentent qu’elle leur échappe et qu’elle serait confisquée par le nouveau pouvoir.

Une émancipation difficile des habitudes passées

La firme pétrolière italienne ENI s’est réjouie que sa production en hydrocarbures en Libye ait atteint 70 % de ses capacités d’avant la guerre qui allait provoquer la chute du régime de Kadhafi. L’entreprise italienne, dont est issu Abdelrahmane Ben Yaza, le nouveau ministre du pétrole et du gaz, ne voit pas de raison pour que le changement de régime bouleverse son exploitation des richesses libyennes. Mais à côté des heureuses multinationales, les Libyens commencent à se dire : « Kadhafi vaincra même mort ».

APRÈS KADHAFI, LA DICTATURE D’ABDELJALIL ?

Si la stabilité semble garantie pour les entreprises étrangères, on ne peut pas dire autant pour la stabilité sociale. Les Libyens sont depuis le retrait de l’armée de l’OTAN livrés à eux-mêmes. Des affrontements armés ont lieu entre des milices armées de différentes régions. L’aéroport de Tripoli a ainsi été fermé suite à une bataille rangée entre la milice de Tripoli et celle de Zenten qui contrôle l’aéroport de la capitale. Les islamistes, eux, essaient d’imposer leurs lois. Attaque nocturne des mosquées libyennes datant du XVe siècle, destruction des commerces suspectés de vendre de l’alcool, les intégristes n’ont pas encore dit leur dernier mot. A Misrata, ville ou Kadhafi a été lynché, les populations assistent depuis quelques temps à la destruction par les « rebelles » des habitations qui n’ont pas été réinvesties par leurs propriétaires partis pendant la guerre. Des voix dénoncent des destructions qui ne viseraient que les maisons des habitants noirs accusés d’avoir combattu au sein des forces armées de Kadhafi.

Mustapha Abdeljalil, le chef du Conseil National Transitionnel (CNT), est impuissant devant cette situation. Pour les Libyens, il est inactif et certains se demandent même pourquoi le CNT continue à exister parallèlement au gouvernement intérimaire d’Abdurrahim Al-Keib. Pour Essa Elhamissi, un ancien rebelle, « le CNT aurait dû être dissous. Mais ses membres, comme la plupart des dirigeants arabes, ne veulent plus quitter le pouvoir. » En dehors des visites rendues ici et là aux anciens rebelles pour les nourrir de discours nationalistes, Abdeljalil, qui reste bloqué dans le système idéologique de son ancien mentor Kadhafi, n’est en rien décisif. En dehors de son appel à une « réconciliation nationale » pour pardonner aux milices pro-Kadhafi sans l’aval de la population, la seule chose qu’il ait accomplie depuis le départ de l’OTAN est révélatrice des rapports du CNT avec l’illégalité : Abdelhakim Belhadj, gouverneur militaire de Tripoli qui se dit « ancien » membre d’Al Qaïda et contre lequel un mandat de recherche international existe, a tenté de s’envoler pour la Turquie avec un faux-passeport. Les milices de Zenten l’auraient même arrêté avec une valise pleine de billets, avant de le libérer sous les ordres d’Abdeljelil. Celui-ci lui a prêté une mission officielle et a assumé avoir créé ce passeport.

LES DÉLIRES DE L’ANCIEN RÉGIME TOUJOURS D’ACTUALITÉ

Le nouveau gouvernement n’est pas non plus satisfaisant. Censé être formé sur la base des compétences des personnes qui devaient le composer, il est devenu un espace de représentation de presque toutes les tribus du pays. Presque, car les populations dites « minoritaires », comme les Amazighs et les Toubous, en sont exclues. Ces populations se sont indignées et les Amazighs ne cessent de manifester leur mécontentement dans la rue, d’autant qu’elles ont été le fer de lance de la rébellion. Contrairement à la population de Benghazi restée dans sa ville après avoir été « libérée » par l’OTAN, les Amazighs ont parcouru tout le pays allant jusqu’à Syrte et ne comptaient pas exiger des ministres issus de leur culture. Mais quand ils ont vu que le gouvernement est formé sur la base de la composition tribale et régionale de la Libye, elle a exigé sa part de représentation. Seule réponse du premier ministre dans les médias libyens : « A chaque fois qu’il y a une manifestation, nous sortons pour saluer la foule et la remercier de s’exprimer pacifiquement. »

« Notre peuple voudrait qu’on interrompe toutes nos relations avec le CNT et le gouvernement, nous dit Essa Alhamissi. Mais contrairement à ce qui a été annoncé, les représentants amazighs ne veulent pas aller jusqu’à cette extrémité. Ils préfèrent rester liés au CNT. Je pense qu’ils cherchent à être promus à leur tour et à bénéficier de postes de responsabilité. C’est cela la politique en Libye. » La colère des Amazighs s’est accrue quand Abdeljallil les a accusés d’être des « agents de l’étranger » et d’une « conspiration » contre le pays. Il reproduit ainsi les mêmes discours que Kadhafi.

"POUR UNE DEUXIÈME RÉVOLUTION"

Autre point qui a surpris les Libyens : la présence dans le nouveau gouvernement d’anciens responsables du règne de Kadhafi. Qui sont-ils ? Nos interlocuteurs refusent de les nommer, ni de préciser les postes qu’ils occupent. Un refus justifié par la sacro-sainte unité nationale essentielle pour la reconstruction de la Libye dont le destin, au vu de ce qui a été déjà mis en place, de ce qui se dessine, des exclusions et des arguments avancés par le gouvernement et le CNT pour empêcher toute rébellion à l’égyptienne, sera – au mieux – celui de l’Algérie après l’indépendance. Aussi la population de Benghazi se prépare-t-elle à sortir dans la rue les prochains jours pour demander de « corriger le cours de la Révolution du 17 février » et de chasser du gouvernement les responsables issus du régime de l’ancien dictateur.

La fin de Kadhafi ne signifie en rien l’accès à la démocratie, d’autant que les « responsables » actuels maintiennent un régime féodal à l’image de celui de l’ancien « Guide de la Jamahiriya » et de l’ensemble des pouvoirs politiques maghrébins. Par ailleurs, le nouveau gouvernement qui a fait de la « modernité » son cheval de bataille s’avère être un gouvernement de passe-droits. Pour preuve, le symbole de l’ouverture à la technocratie libyenne formée en Occident, l’ophtalmologiste exerçant en Irlande et devenue ministre de la Santé, Fatima Hamroush a fait de sa sœur son chef de cabinet. Juste après elle, c’est autour du ministre des Télécommunications de recruter ses employés parmi ses proches, connus pour avoir servi dans l’administration de l’ancien régime.

L’incompréhension est donc totale en Libye et les insatisfactions nombreuses. D’une part, un gouvernement qui s’emploie beaucoup plus à satisfaire les désirs des Occidentaux que ceux des Libyens hantés par l’unité nationale, d’autre part, un CNT qui veut prendre la place de Kadhafi tant qu’elle est chaude, la démocratie en Libye semble être un rêve très coûteux et, finalement, inaccessible.

Ali Chibani

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