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La Chute du Guide : Les Révélations d’un Proche de Kadhafi

Paris Match, le 10 novembre 2011

jeudi 10 novembre 2011, par Tilelli

Le rendez-vous est fixé devant l’entrée du stade de Niamey. Il a estimé que ce serait plus discret. Sa maison est surveillée de près. Aghali Alambo arrive dans une petite berline. Il est coiffé d’un chèche blanc et vêtu d’une tunique bleue. Ancien chef du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ) jusqu’à la fin de la rébellion touareg en 2009, il vivait à Tripoli avec sa famille. Proche de Kadhafi, il est accusé d’avoir recruté des mercenaires touareg pour combattre les rebelles. C’est lui aussi qui vient d’ouvrir la piste de la fuite vers le Niger pour les apparatchiks du régime et Saadi Kadhafi, le troisième fils du dictateur.

En juin dernier, Alambo a été reçu par le Guide. « Nous étions une quinzaine, raconte-t-il, sous une tente plantée dans le jardin d’une villa, proche de sa forteresse de Bab al-Azizia, Kadhafi nous dit : “Il faut se battre. Cela va durer. Il faut tenir.” Personne n’osait le contredire. Ni lui suggérer que c’était peut-être déjà trop tard. Devant le Guide, on acquiesce, c’est tout. Tripoli était relativement calme. La guerre semblait loin. » Des Touareg en rupture de ban s’engagent aux côtés des kadhafistes. D’autres pauvres bougres arrivent du Niger, alléchés par la solde. Ils accusent aujourd’hui Alambo de ne l’avoir jamais versée.

En août, Tripoli tombe aux mains des rebelles. Alambo est le premier surpris, comme, dit-il, la plupart des caciques du régime. « Parmi les officiers chargés de défendre la capitale, explique-t-il, plusieurs étaient de mèche avec le Conseil national de transition (CNT). On pensait avoir un délai d’une semaine, même si les choses tournaient mal. Cela n’a pas été le cas. Des groupes infiltrés ont surgi, armes à la main, dans tous les quartiers. Parmi ceux qui ont déboulé chez moi, il y avait un jeune que je connaissais. J’étais au premier étage. Ma famille a demandé un délai de vingt minutes, le temps que femmes et enfants sortent. Avant qu’ils n’investissent les lieux, le jeune est monté. Il m’a dit : “S’ils t’attrapent, ils vont te tuer.” Par la fenêtre, il a demandé à des employés de la clinique voisine de m’héberger. Ils ont refusé. Le voisin, lui, a accepté. Il a dressé une échelle contre le mur. Il l’a retirée après m’avoir caché. Ni vu ni connu, j’étais sauvé.

« PLUS PERSONNE N’UTILISAIT SON TÉLÉPHONE DE PEUR D’ÊTRE REPÉRÉ PAR L’OTAN »

Au petit matin, j’ai rejoint mon chauffeur. Avec notre 4 x 4, nous sommes allés à Beni Oulid, à 175 kilomètres de Tripoli. Les gens ne voulaient pas qu’on reste. Ils avaient peur des représailles. Le 31 août, je suis tombé sur Abdallah Mansour, un conseiller de Kadhafi. Le lendemain, c’est Saïf al-Islam, le fils de Kadhafi, qui est arrivé, avec plusieurs véhicules. C’était la panique. Plus personne n’utilisait son téléphone de peur d’être repéré par l’Otan. Il fallait fuir. Saïf avait travaillé avec la plupart des personnalités du CNT lorsqu’il voulait réformer le régime. C’était avant que son père n’arrête le processus. Son jeu est trouble. Peut-être est-il toujours en contact avec ces personnes et espère-t-il ainsi s’en sortir. Saïf aurait filé vers l’est. Il n’était pas avec son père. Nous, nous avons pris la direction du sud. Abdallah Mansour a téléphoné à Paris à des parents qui l’ont incité à se rendre à Sebha. Nous avons quitté la route pour rejoindre cette oasis. Puis nous avons suivi des pistes qui longent la rivière Verte, en veillant à laisser au moins 5 kilomètres entre deux véhicules, pour ne pas éveiller l’attention et risquer une attaque des avions de l’Otan.

A Sebha, nous avons été accueillis par les Ouled Souleïman, la tribu du conseiller de Kadhafi que j’accompagnais. Elle était passée à 60 % du côté du CNT, mais l’esprit de clan a primé. Ils nous ont hébergés. Cependant, il était difficile de rester longtemps. Les règlements de comptes avaient commencé, c’était dangereux. Nous sommes partis avec des parents d’Abdallah et quatre autres Touareg. En tout, nous étions douze, répartis sur trois 4 x 4 seulement, et pas deux cents, comme il a été dit. Nous avons remonté les dunes de Mourzouk, d’abord vers l’est, puis au sud. Il faut changer de couloir entre chaque montagne de sable pour garder son cap. Au “triangle”, nous sommes entrés au Niger. » Ce “triangle” est la jonction des frontières algérienne, libyenne et nigérienne. La piste s’égare ensuite sur le plateau du Djado. Les Touareg y sont dans leur jardin.

POUR ALAMBO, KADHAFI SE TROUVE TOUJOURS EN LIBYE...

Ce 5 septembre, avec un téléphone satellitaire, Alambo prévient le gouverneur d’Agadez de l’arrivée de ce convoi de fidèles de Kadhafi. Un détachement de la garde nationale part à leur rencontre pour les escorter. Depuis, le petit groupe a été conduit à Niamey pour y être débriefé. Quatre jours plus tard, c’est une demi-douzaine d’autres véhicules tout-terrain qui arrivent à Agadez. A leur bord, de nouvelles huiles du régime : le général Al-Rifi Ali al-Sharif, chef d’état-major de l’armée de l’air libyenne, le général Ali Khana, chef des forces libyennes d’Obari, situé à environ 200 kilomètres du Niger, et enfin le général Mahammed Abydalkaren, commandant de la région militaire de Mourzouk, toujours dans le sud de la Libye. Alambo se défend d’avoir organisé leur fuite. « Les autorités me contactent parfois pour vérifier qui ils sont », concède-t-il. Sont-ils venus en précurseurs pour négocier la venue prochaine du Guide ? « Non », assure Alambo, qui est certain que Kadhafi est toujours en Libye.

Quant aux dizaines d’autres véhicules qui sont rentrés au Niger, ce sont des Touareg qui reviennent chez eux avec du matériel libyen. Camions, 4 x 4, engins de terrassement, matériaux de construction pris sur les chantiers abandonnés à cause de la guerre… Ils ne rentrent pas au pays les mains vides. Des bulldozers Caterpillar transportés sur des remorques aux camions-bennes, tout y passe. Un de ces véhicules neufs a pris feu près de la gendarmerie, sur la route menant à la douane d’Agadez. Les deux occupants se sont enfuis, et la carcasse en flammes a explosé car elle contenait des munitions. Pour le patron d’Aïr Info, ce 4 x 4 était destiné à un Nigérien surnommé Marabout, spécialisé dans la revente de pick-up Toyota Hilux volés en Libye. Un hélicoptère de transport a même été amené à Agadez, en pièces détachées. Quand le gouverneur l’a su, il a fait fouiller les remises et les garages de la ville. Il a mis au jour des cavernes d’Ali Baba. Des fûts de carburant, un stock de cuir et de peaux de chameau, mais aussi cinquante-sept 4 x 4 Hyundaï Tucson flambant neufs, sans plaque d’immatriculation, ont été découverts.

... ET CHOISIRA PLUTÔT LE SUICIDE QUE LA CAPTURE

A Agadez, c’est la foire d’empoigne. Les commerçants nigérians viennent acheter ce matériel libyen avant de le « recycler » dans l’Etat voisin de Kano, au Nigéria, où la corruption est endémique. Impossible en fait, côté nigérien, de fermer la frontière avec la Libye. Les 1 000 soldats du 23e BIA n’y suffisent pas. Sans moyens radio ni véhicules en nombre suffisant, ils essaient de contrôler un désert grand comme la moitié de la France. « Maintenant qu’ils ont compris qu’on ne leur tirait pas dessus, les caciques du régime vont tous rappliquer », me souffle un Français de Niamey. « Si un fils est venu, le père, lui, ne se réfugiera pas ici », est persuadé Aghali Alambo, qui a ouvert la voie sans être mandaté par la famille, précise-t-il. Le chef touareg minimise, en fait, son rôle. Et l’or de Kadhafi ? Les millions de dollars qu’il a récupérés en bradant 20 % des réserves du pays ? Alambo affirme ne pas être au courant. « Je suis parti les mains dans les poches, dit-il. Seul Kadhafi connaît toutes les pièces du puzzle. Mais il ne se rendra pas. Il préférera mourir en Libye. Il choisira le suicide plutôt que la capture. »

Patrick Forestier
Parismatch.com

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