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Un câble wikileaks dresse un état des lieux accablant

La situation en Kabylie et la « théorie du complot »

El Watan, le 7 septembre 2011

mercredi 7 septembre 2011, par Tilelli

Le câble relève qu’entre le 12 octobre 2006 et le 28 août 2008, la région a été victime de pas moins de 18 opérations terroristes.

Un câble WikiLeaks, daté du 12 septembre 2008 et signé simplement Pearce, sans doute en référence à l’ancien ambassadeur américain à Alger David Pearce, est consacré à la situation sécuritaire et sociale en Kabylie. Prenant appui sur une série d’attentats kamikazes qui avaient ciblé la région durant l’été 2008, le câble dresse un état des lieux accablant en pointant du doigt les relations compliquées qu’entretient la population locale avec le « gouvernement central d’Alger ». Le rédacteur de ce mémo commence par une présentation générale de la Kabylie et des Kabyles en insistant sur le fait que c’est une région connue pour « sa culture berbère séculaire » et en soulignant que « la région a toujours servi de refuge aux foyers de guérillas qui tirent profit de son relief accidenté ».

L’auteur du câble rappelle que ces mêmes montagnes imprenables étaient le fief des « combattants de la liberté », allusion au passé héroïque de la Wilaya III. « Aujourd’hui, les terroristes exploitent ces mêmes maquis (…) mais la population kabyle ne partage pas leur cause et ne comprend pas leurs objectifs. » Et de relever comment la population locale avait tout fait pour chasser les gendarmes après les événements de 2001, elle qui se sentait « négligée par un pouvoir central qui ne pensait qu’à réprimer la culture berbère plutôt que de prodiguer la sécurité à la Kabylie ». « Aujourd’hui, la population souffre de cette carence d’autorité et se sent à la merci des terroristes perchés sur les collines, au-dessus de leurs maisons. » Cette colère contre les autorités, la source diplomatique américaine en voit la parfaite traduction dans le boycott massif des élections municipales de novembre 2007.

Citant un décompte d’El Watan, le câble relève qu’entre le 12 octobre 2006 et le 28 août 2008, la région a été victime de pas moins de 18 opérations terroristes. « En raison de la situation sécuritaire, aucun diplomate américain n’a mis les pieds à Tizi Ouzou depuis 15 ans », affirme l’auteur du câble. Dans la foulée, le câble rapporte le témoignage d’un des employés locaux de l’ambassade, originaire de Beni Yenni, et qui fait régulièrement le trajet Alger-Ath Yenni. L’employé en question évoque ainsi l’enfer du trajet en raison des interminables barrages qui ponctuent la route, provoquant, déplore-t-il, un « trafic congestionné ». « Il doit traverser en moyenne dix barrages, entre Alger et Tizi Ouzou », note le diplomate US, avant d’ajouter : « Notre collègue de Beni Yenni nous a dit que lorsque l’armée lance une offensive contre les terroristes embusqués dans les montagnes, on peut voir les troupes massivement déployées tout au long de l’autoroute plusieurs jours à l’avance ainsi qu’une rangée d’ambulances qui annoncent le début des opérations. »

« Le fossé entre le gouvernement et la Kabylie reste large »

L’ambassadeur rappelle ensuite le climat insurrectionnel qui a suivi l’assassinat de Lounès Matoub en 1998 puis les événements du printemps noir de 2001. Le diplomate américain convoque également l’analyse d’élus kabyles qui dénoncent le manque cruel d’investissements et d’infrastructures dans la région et le chômage endémique qui frappe la jeunesse de Kabylie. Il cite notamment les déclarations faites par le P/APC de Yakouren, Tahar Issadei, à El Watan où il martèle : « C’est la catastrophe. Il y a un manque total d’investissements. » L’ex-ambassadeur US rapporte au passage cette anecdote : « Selon nos agents consulaires, un large pourcentage de postulants au visa ‘‘diversité’’ (la loterie pour l’immigration aux States, ndlr) sont issus de la wilaya de Tizi Ouzou ».

L’auteur du câble se fait l’écho de l’indignation de la population qui se sent abandonnée à son sort. Il relaie l’insistance de nombre de citoyens qui attestent que « les terroristes ne sont pas originaires de la région ». « Nos contacts affirment qu’un nombre croissant de terroristes, qui activent en Kabylie, sont des islamistes qui ont participé au mouvement insurrectionnel des années 1990 et qui ont été libérés de prison à la faveur de la loi sur la réconciliation nationale. » Le câble WikiLeaks observe que beaucoup de gens en Kabylie en sont venus à adhérer à une « théorie conspirationniste selon laquelle le gouvernement est complice de l’instabilité qui règne dans la région ». La population est convaincue que le pouvoir « utilise des hors-la-loi pour justifier l’oppression du peuple kabyle, réprimer les mouvements autonomistes berbères et étendre les pouvoirs des forces de police ». « Nos collègues kabyles nous disent être victimes d’islamistes qui agissent dans leur région sans être de leur région. Ces derniers multiplient les faux barrages (…). Ils sermonnent les gens, reprochent aux femmes de s’habiller d’une façon indécente et tancent les hommes qui boivent de l’alcool. (…) Ces check-points sont aussi utilisés pour récupérer de l’argent et des moyens logistiques. »

Le même document constate que les terroristes ont tenté d’exploiter l’hostilité éprouvée par la population de Kabylie envers le régime. Il note toutefois que « ces sentiments sont en train de changer ». Toujours en se basant sur le témoignage de collègue kabyles, le diplomate américain écrit : « A chaque voyage à son village, il (le collègue) remarque des signes de coopération entre la population et les forces de l’ordre. » Et de conclure : « Le gouvernement à Alger a la possibilité de se réaffirmer dans la région de Kabylie. (…) Mais même si une série de projets d’infrastructures témoigne de la sensibilisation du gouvernement sur la nécessité du développement économique [dans la région], le fossé entre les Kabyles et le gouvernement central reste large (…) Le principal défi pour le régime d’Alger sera de profiter de cette ouverture en veillant à heurter le moins possible la fierté culturelle berbère. »

M. B.

Lire l’article sur le site d’El Watan

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