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Tamazgha dénonce l’Etat algérien à Genève

mardi 4 mai 2010, par Tilelli

A l’occasion de la tenue de sa 44ème session, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, qui se tient à Genève du 3 au 21 mai 2010, l’Etat algérien aura à présenter ses troisième et quatrième rapports périodiques, soumis en un seul document, en vertu des articles 16 et 17 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (CESCR).

Comme elle le fait depuis 1999, Tamazgha, ONG de défense des droits des Imazighen, présente un rapport alternatif par lequel elle met le doigt particulièrement sur les discriminations faites à tamazight par l’Etat algérien. Dans son rapport, Tamazgha attire l’attention des experts des Nations Unies sur l’hypocrisie de l’Etat algérien dans sa "gestion" de la question amazighe. En effet, l’Etat algérien vise par son rapport et les réponses données aux questions complémentaires du CESCR à faire croire à une reconnaissance et une prise en charge de tamazight par de déclarations de bonnes intentions.

Le rôle de Tamazgha, notamment par son rapport et par sa présence à Genève à l’ouverture des travaux de la 44ème session du CESCR, est de relever les contradictions de l’Etat algérien et la médiocrité de ce qu’il présente comme avancées pour tamazight. C’est ce qui a été soutenu lors de l’intervention du représentant de Tamazgha devant les membres du Comité ce 3 mai 2010 lors de la séance consacrée aux exposés des ONG.

Ci-après l’intervention de Masin FERKAL, délégué de Tamazgha, devant les membres du CESCR le 3 mai 2010.










- Communiqué de presse de Tamazgha


- Rapport de Tamazgha : "L’Etat algérien et la question amazighe"



Intervention orale devant les membres du Comité des droits économiques, sociaux et culturels à l’occasion de sa 44ème session

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs honorables membres du Comité, Bonjour et merci de donner l’occasion à notre organisation de prendre la parole.

Tamazgha est une Organisation non gouvernementale qui œuvre pur la défense des droits et intérêts de Imazighen (Berbères) notamment en Afrique du Nord, leur pays.

Aujourd’hui, nous sommes là pour présenter un rapport alternatif au rapport de l’Etat algérien et pour vous montrer combien Imazighen souffrent toujours de diverses discriminations dont est responsable l’Etat algérien.

Si l’Etat algérien ne manque pas de multiplier ses déclarations quant à la reconnaissance et à la prise en charge de la langue et et de la culture berbères, force est de constater qu’il y a incontestablement une réelle déconnexion entre les affirmations des textes de l’Etat partie et la réalité du terrain.

A titre d’exemple, l’Etat partie a procédé en avril 2002 à l’inscription de la langue amazighe comme langue nationale en introduisant un nouvel article dans la Constitution qui stipule que : « Tamazight est également langue nationale. L’Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national. ». Seulement voilà que l’Etat partie maintient une loi de généralisation de la langue arabe (voir annexe de notre rapport intitulé « l’Etat algérien et la question amazighe » qui vous a été soumis en mai 2009 a l’occasion du Pre-Sessional Working Group, qui a eu lieu du 25 au 29 Mai 2009). Cette loi, toujours en vigueur, institutionnalise la discrimination linguistique.

A propos de cette loi, en avril 2001, lors de sa 58ème session à Genève, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale(CERD) avait déjà exprime sa préoccupation et avait expressément demandé à l’Etat partie de la réviser. (voir les recommandations du CERD en 2001 : (CERD/C/304/Add.113). Rien ne justifie à nos yeux le maintien de cette loi qui doit être abrogée sans délai. Se pose également la question de l’officialisation de la langue amazighe. En effet, malgré les demandes incessantes des Imazighen depuis des décennies, malgré les recommandations du Comité des droits économiques sociaux et culturels, malgré les recommandations du CERD, l’Etat partie n’a toujours pas procédé à l’officialisation de la langue amazighe.

Il convient de relever les incohérences et les contradictions dans la démarche de l’Etat partie qui, d’une part, inscrit la langue amazighe dans la Constitution comme langue nationale et prétend « œuvrer à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national », et, d’autre part, continue sa politique d’exclusion de la langue amazighe de l’ensemble de l’appareil administratif et judiciaire. Aujourd’hui, les amazighophones (berbérophones) ne peuvent toujours pas utiliser leur langue ni recevoir une information dans leur langue et ce dans toutes les administrations. Ils ne peuvent obtenir les actes judiciaires et notariés dans leur langue, etc.

Dans ses Réponses à la liste des points à traiter que le Comit é a soumis à l’Etat partie (E/C.12/DZA/Q/4), ce dernier énonce un certain nombre d’actions et d’initiatives en faveur de la langue et de la culture amazighes. Dans le document qui vous a été remis, nous avons passé en revue point par point l’ensemble des réponses de l’Etat partie aux questions relatives a la question amazighe, et il convient de dire que la réalité des choses sur le terrain ne correspond pas toujours à ce que l’Etat affirme dans ses documents et déclarations.

L’Etat partie évoque les efforts déployés par le gouvernement pour soutenir et encourager le théâtre d’expression amazigh, alors que, après des années du dit soutien, nous n’avons toujours pas de troupe de théâtre professionnelle d’expression amazigh. Même le Festival qu’il prétend être un festival de théâtre amazigh n’accueille pas que des troupes d’expression amazighe.

L’Etat partie prétend soutenir financièrement des associations qui œuvrent pour le soutien du théâtre, mais il ne donne pas de précisons à ce propos : quelles sont ces associations financées et quels sont les montants qui leur sont alloués ?

Les mêmes remarques sont valables pour la chanson amazighe. A signaler que les chanteurs qui n’épousent pas les orientations gouvernementales sont marginalisés et exclus de toutes les manifestations organisées par les autorités publiques. Il y a lieu également de signaler la main mise de l’Etat sur l’ensemble des domaines ce qui ne laisse aucune possibilité pour les initiatives indépendantes.

On dira la même chose du cinéma qui souffre aussi d’un maque de soutien. Là aussi, les cinéastes et producteurs engagés et qui tiennent à leur indépendance se trouvent exclus de toutes les aides étatiques. Et lorsque l’Etat partie affirme que « des associations culturelles qui activent dans le domaine cinématographique programment régulièrement des activités qui mettent en valeur le cinéma en langue amazighe ou sur les thèmes en relation avec la culture amazighe », l’on se demande où se déroulent ses activités et quelles sont ces associations : il s’agit, sans doute, de manifestations imaginaires.

Dans le domaine de la littérature, malgré toutes les déclarations de l’Etat partie, Il est à signaler que la majorité des ouvrages en tamazight sont édités par la seule volonté des auteurs qui éditent à leur compte (auto-édition). Et les ouvrages qui ont bénéficié de subventions de l’Etat représentent un pourcentage insignifiant des titres qui existent sur le marché.

Concernant l’alphabétisation, nous tenons à préciser que l’alphabétisation des Imazighophones se fait en langue rabe alors qu’elle est censée se faire en langue amazighe. Ainsi, l’alphabétisation est utilisée par l’Etat partie pour mieux mettre en œuvre sa politique d’arabisation des Imazighen.

Concernant l’enseignement de la langue amazighe, il faut dire que l’aspect facultatif et marginal de l’enseignement de cette langue ne peut contribuer à « promouvoir la dimension amazighe dans tous ses éléments constitutifs (langue, culture, profondeur historique et anthropologique) dans le cursus éducatif » comme l’affirme l’Etat partie dans ses réponses ((E/C.12/DZA/Q/4/Add.1 - § 186) aux questions du Comité (E/C.12/DZA/Q/4).

En effet, même en Kabylie, où la demande est massive, l’on assiste a des situations invraisemblables à propos de la façon dont la langue amazighe est enseignée. A titre d’exemple, un élève qui reçoit des cours de tamazight en première année peut ne pas en recevoir en 2ème année, puis probablement il en reçoit en 3ème où en 4ème année. Tous les établissements ne disposent pas de postes budgétaires pour la langue amazighe, ce qui ne leur permet pas de recruter des enseignants. Malgré les demandes, les élèves sont ainsi privés de cours faute de postes budgétaires. Lorsque l’enseignant est affecté dans un établissement, les cours sont très souvent, d’une part dispensés en même temps à des classes de niveaux différents, et d’autre part programmés en fin de journée ce qui démotive les élèves.

Si on se base sur les chiffres de l’Etat partie, on se rend compte que seulement 2,15 % des élèves scolarises en Algérie bénéficient de l’enseignement de la langue amazighe, qui est, rappelons-le, langue nationale algérienne.

Les statistiques montrent que plus de 96 % des élèves qui bénéficient de l’enseignement de la langue amazighe se situent seulement dans deux régions, la Kabylie et les Aurès avec une nette supériorité de la Kabylie avec près de 88 %. A signaler que la situation "favorable" de l’enseignement de tamazight en Kabylie est le résultat de rapports de forces et de luttes sociales violentes (événements d’avril 1980, grève du cartable qui a duré une année scolaire entière en 1994-1995, le Printemps noir de 2001, etc.). mais malgré cela, même en Kabylie les besoins et la demande sont loin d’être satisfaits.

Avec ces chiffres, il est très difficile de suivre l’Etat partie lorsqu’il parle de reconnaissance de la langue amazighe ou d’efforts déployés pour sa promotion et son développement.

Nous voulons comme autre preuve le fait que, selon toujours les chiffres et informations avancés par l’Etat partie, au sein même de la capitale, Alger, où la présence amzighophone est, par ailleurs, très forte (plus de 50 % de la population algéroise), il n’y a que trois enseignants pour trois établissements (deux de cycle moyen et un de cycle secondaire) qui accueillent un total de 63 élèves. Sachant qu’aucune classe de cycle primaire n’y est ouverte. Les chiffres et les informations de l’Etat partie parlent d’eux-mêmes.

Plus fondamentalement, il convient de relever le caractère marginal de la reconnaissance de tamazight, qui exclut la reconnaissance des droits linguistiques des populations concernées, notamment celui de recevoir une éducation complète dans sa langue (on leur impose notamment un enseignement quasi-exclusivement en langue arabe).

Concernant la présence de la culture amazighe dans les médias imprimés et audiovisuels (question 43 du Comité), l’Etat partie énumère ses initiatives et mentionne notamment la création d’une chaîne TV en langue amazighe (TV4).

A ce propos, dans leur rapport commun (avril 2010) soumis au Comité, trois organisations de défense des droits de l’Homme (FIDH, CFDA, LADDH) affirment que "Pour ce qui est de la langue tamazight, l’Etat algérien se targue d’avoir instauré une chaîne télévisuelle en langue tamazight. Nos organisations tiennent toutefois à apporter une nuance de taille à cette initiative étatique dans la mesure où plus de la moitié de la programmation de ladite chaîne n’est pas en langue tamazight. Ainsi, l’initiative est davantage nominative que significative d’un réel accès à la culture amazighe." Même le HCA qui est une institution officielle rattachée à la Présidence de la République déplore la politique de l’Etat dans le domaine des médias amazighs. Youcef Merahi, secrétaire général du HCA, déplore la faible présence de tamazight dans les médias. Et Il estime que la chaîne TV4 en tamazight n’est pas un canal digne de ce nom. La Chaîne, selon lui, manque de moyens.

Quant aux médias imprimés, il est à déplorer l’absence totale de tout journal ou revue en tamazight. Est-il normal qu’une langue nationale qui a besoin d’être encouragée ne dispose d’aucun média écrit.

Concernant nos recommandations, nous avons avancé dans notre rapport les principales propositions qui montrent par contraste l’ampleur du déni fait aux amazighophones et à leur identité.

Nous proposons tout simplement d’en finir avec la négation discriminatoire officielle de l’amazighité du pays. Et il faut s’y mettre sans délai. Mais nous tenons à insister sur l’urgence de geler sans délai la loi d’arabisation puis proposer clairement à l’Assemblée nationale de l’abolir comme loi discriminatoire. Au niveau constitutionnel, il convient de proposer sans délai un projet de modification de la Constitution, en accord avec les engagements internationaux de l’Etat algérien, à respecter les droits culturels des Amazighophones, en vue d’y inscrire tamazight comme langue officielle.

En coopération avec tous les secteurs de défense de tamazight, modifier toutes les lois et différents instruments de droit et actes légaux comportant des dispositions discriminatoires à l’égard de tamazight.

Toutes les lois, décrets, ordonnances, …. doivent être revus pour qu’ils soient compatibles avec l’article 3 bis de la constitution qui fait de tamazight une langue nationale.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Comité, Merci.

Masin Ferkal,
Genève, le 3 mai 2010.

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