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Iness Mezel, au-delà des mers

Portrait

samedi 2 avril 2011, par Tilelli

L’artiste française d’expression berbère Iness Mezel, sort des jours-ci Beyond The Trance, un album berbère-rock chanté surtout en français, mais réalisé par l’Anglais Justin Adams. Métisse, plurielle, indépendante, elle tente l’aventure anglaise pour se défaire des clichés… Portrait.

Iness Mezel a toujours la même façon de composer : d’abord le rythme. La mélodie arrive ensuite. Au conservatoire, elle aimait reprendre au piano des compositeurs toniques comme Debussy, Bartok ou Satie. Elle a ensuite travaillé sa voix en s’inspirant de Sarah Vaughan, d’Ella Fitzerald ou de Stevie Wonder. D’influences multiples, la Française d’expression berbère sort actuellement son deuxième album, Beyond The Trance, un disque qui navigue au-delà des frontières linguistiques et des étiquettes musicales, à l’image de son parcours.

Atouts multiples

Multiple. Plurielle. Libre. Depuis son plus jeune âge, Iness Mezel navigue entre deux rives de la Méditerranée, la ville et la campagne, deux langues, le kabyle et le français. Elle a des origines entre deux régions montagneuses et fières : la rebelle Kabylie, en Algérie, et l’Auvergne, l’une des régions les plus sauvages de France.

Née à Saint-Ouen d’une mère nourrice et d’un père chauffeur de taxi, elle s’installe en famille à Alger à l’âge de sept ans, et découvre la Kabylie de sa grand-mère, "les couleurs, les nuits à entendre le chant des femmes, les ambiances de fête". Elle en garde une écriture poétique et un sens du rythme qui ne la quittera plus.

A 9 ans, retour en France, à Riom-Es-Montagne, une petite ville auvergnate, où sa mère danse la bourrée dans une troupe de folklore et où elle découvre la musique. C’est balbutiant : elle touche à tout et passe des heures au local de la fanfare. C’est quelques années plus tard, à Levallois-Perret, en banlieue parisienne, qu’elle se met sérieusement au piano … Son parcours métisse se révèle vite être un atout. Elle cherche, écoute de tout, s’intéresse au funk, au rock aux musiques du Sud du Sahara, s’extasie devant la musique du sénégalais Doudou N’Diaye Rose.

En 2003, il y eut Len, sa première expérience solo car avant cela, il y eut un groupe avec sa sœur, dont elle ne souhaite plus parler. On n’en saura pas vraiment davantage, mais Iness Mezel contrôle son image et rebondit, tout en fluidité et rupture.

Le pari de l’Angleterre

Ses grands yeux noirs appuient chaque mot, sa volonté de rompre artistiquement avec la France, au moins pour quelque temps. "J’ai fait le pari de l’Angleterre, ça a marché. Ici, j’avais le sentiment de ne pas pouvoir être entendue au niveau pluriel de ma personnalité".

Pour ce nouveau projet, elle souhaitait travailler avec un réalisateur anglais, pour s’affranchir de l’impulsion "ethnique" qu’en France, on veut toujours coller à sa musique. Elle imagine des grosses basses, des solos de guitare, un son neuf et est bien déterminée à aller jusqu’au bout de sa révolution musicale.

On lui présente Justin Adams, guitariste de Robert Plant, et révélateur musical – de Tinariwen, Juldeh Camara. Il vient du rock et connaît les musiques d’Afrique du Nord : convaincant. Elle parle de lui comme d’un moissonneur, qui lui permit de "récolter les fruits" de son travail, mais tient à préciser qu’elle signe tous les arrangements.

Lui réalise le disque et pose toutes les cordes. Fière de cette alchimie, elle analyse : "Je pense avoir trouvé une oreille en Angleterre. Là-bas, ils savent davantage prendre des risques et n’ont pas peur de faire évoluer les mentalités".

Le titre anglais du disque est une forme de dédicace : Beyond The Trance. La musique au-delà de la transe, mais aussi des apparences et des à priori. Elle insiste : "Le métissage est pour moi un entrelacement de choses sur lequel je m’appuie pour fonder une identité culturelle et musicale".

Ici, elle compose surtout dans sa langue maternelle : "Chanter en français, c’est se mettre à nu, mais j’avais besoin d’être comprise. Pour moi, on est dans une forme de régression : il faut dire les choses de manière très claire, pour que le message passe. Or, le kabyle est une langue qui swingue, mais que peu de gens comprennent. ". Alors, elle chante la liberté, la féminité et l’indépendance d’esprit en français.

Dans Amazone, le premier morceau de l’album, elle chante "Je voterai, que tu le veuilles ou non", un manifeste féministe qui au regard de l’actualité, devient un hymne unisexe à la liberté. A propos, les révolutions arabes enthousiasment Iness Mezel et concernant l’Algérie son refus de l’autoritarisme ne date pas d’hier. "Je ne suis jamais allée chanter en Algérie pour ne pas crédibiliser le pouvoir, puisque tout concert passe nécessairement par le ministère de la culture". Elle espère que l’Algérie saura changer les choses en profondeur, à son propre rythme, et alors Iness Mezel pourra enfin jouer son rock-berbère-funk dans les montagnes de son père.

Eglantine Chabasseur

Lire l’article sur le site de RFI

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