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Mali : la France cherche les bons Touaregs pour isoler AQMI et préserver l’unité du pays

Atlantico, le 25 avril 2012

mardi 17 juillet 2012, par Tilelli

Au Mali, la partition du nord, occupé par plusieurs mouvements rebelles, n’est toujours pas acceptée par la communauté internationale. Parmi les nombreux groupes présents dans la région, entre terroristes et indépendantistes, les Touaregs pourraient être des interlocuteurs acceptables pour les Français.

Hélène Bravin, journaliste, spécialiste du Maghreb et auteure de « Kadhafi, vie et mort d’un dictateur » (Editions Bourin), s’est entretenue avec Moussa El Koni, grand chef touareg libyen et représentant des Touaregs au Conseil National de Transition (CNT). Ancien consul général de Libye au Mali, Moussa al Koni a démissionné de ses fonctions pour rejoindre, en mars 2011, la révolution libyenne contre le régime de Khadafi. Celui-ci qui compte toujours sur son influence tente aujourd’hui de faire revenir en Libye les Touaregs libyens d’origine malienne et nigérienne qui ont fui la Libye vers le Mali et le Niger après la mort de Kadhafi et auprès de qui ils ont combattu jusqu’au bout. Sera-t-il entendu malgré sa défection précoce des rangs des fidèles de Kadhafi ? Convaincu que les Touaregs restent une communauté liée, il tente en tous les cas de les convaincre que la Libye reste leur pays refuge et d’une amélioration de leurs conditions de vie. Il dévoile aussi dans cet interview les tentatives de négociations que mène la France au Mali avec le mouvement Ançar Dine. Entretien réalisé avec la participation de Kamel Almarache, journaliste.

Atlantico : Qui sont ces Touaregs qui combattent au Nord du Mali pour l’indépendance du territoire Azawad ?

Moussa Al Koni : Ce sont des Touaregs venus de Libye. Ils sont Nigériens mais surtout Maliens. Ils ont acquis la nationalité libyenne depuis 1980 pour la plupart d’entre eux. Ils ont combattu aux côtés de Kadhafi durant la révolte. Ils sont venus en Libye lors de l’appel aux Touaregs lancé par Kadhafi en 1980 depuis la ville libyenne d’Oubari, considérée comme la ville principale des Touaregs en Libye. Ils ont été naturalisés massivement par Kadhafi. Celui-ci souhaitait faire pression notamment sur l’Algérie, le Niger, le Mali et la Mauritanie afin que ces pays reconnaissent son influence régionale ainsi que la cause des Touaregs marginalisés.

Le second objectif de Kadhafi était aussi de les utiliser, notamment dans la guerre au Tchad et au Liban. A cette fin, Kadhafi les a intégrés dans l’armée et a même créé un bataillon spécial pour eux appelé « les Commandos courageux » en référence à Tariq Ibn Ziyad, conquérant berbère de l’Espagne. D’ailleurs, le leader d’Ançar Dine (Défenseur de l’Islam), Iyad Ag Ghaly, d’origine malienne a combattu pour la Libye au Liban avant de constituer le Mouvement population de l’Azawad (MPA). Le leader actuel du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA), Mohamed Ag Najim, également d’origine malienne, a aussi fait partie de l’armée verte de Kadhafi. Cette intégration dans l’armée a été faite très facilement. Elle a servi de promotion sociale aux Touaregs non éduqués et très pauvres.

Et leur rapport avec les Touaregs libyens ?

Les Touaregs maliens se sont établis aux côtés des Touaregs libyens, installés bien avant l’invasion arabe du VIIème siècle. Ils se sont concentrés dans le Sud, dans la localité d’Oubari, au sud-ouest de Sebbha et à Ghadamès. Les Touaregs libyens ont également été intégrés dans l’armée de Kadhafi – ce qui leur a permis aussi une ascension sociale – et ils ont combattu à ses côtés durant la révolte. Ils partagent certaines coutumes avec les Touaregs Maliens ou Nigériens.

Que s’est-il passé après la mort de Kadhafi ?

L’ensemble des Touaregs, parce qu’ils avaient combattu aux côtés de Kadhafi, ont été pourchassés. Les Touaregs de souche libyenne ont été notamment chassés de Ghadamès. Ils ont du se réfugier ailleurs en Libye. Ou sont partis en Algérie. Les Touaregs d’origine malienne ou nigérienne sont retournés quant à eux dans leur pays avec énormément d’armes. Ils sont venus soutenir l’Azawad qui n’avait pas jusqu’à présent une logistique importante. A cette époque, j’avais déjà averti les européens qu’ils étaient armés. L’Azawad a d’ailleurs été principalement alimentée par le colonel Mohamed Najim d’origine malienne de l’ex-armée libyenne de Kadhafi….

Oui et également par une partie du mouvement de feu Ibrahim Bahanga, « L’Alliance Touareg pour le changement » mort en août 2011 au Mali, alimente aussi l’Azawad. [ndlr : Ibrahim Bahanga a résidé en Libye pendant deux ans]. Il y aujourd’hui trois mouvements concentrés au nord du Mali qui en ont proclamé la partition. Il y a l’Azawad, Ansa Din et Al Qaïda.

Existe-t-il une différence entre ces trois mouvements ?

S’ils ont fait cause commune pour conquérir le Nord du Mali, ils sont différents dans leur revendication. L’Azawad qui a intégré en majorité les Touaregs libyens d’origine malienne revendique la partition du pays. Ançar Dine, dirigé par Iyad Ag Ghaly, est prêt, selon ce qu’il m’a dit, à renoncer à la partition du pays mais à la condition qu’une charia « modérée soft » soit appliquée au nord du Mali. Le mouvement entend ainsi manifester sont mécontentement face à la construction des églises décidée par le gouvernement malien et par les missions des missionnaires de l’Eglise évangélique. Le mouvement AQMI proche d’Al Qaïda est djihadiste : application de la charia et guerre contre l’Occident.

Mais quelle est la différence entre Ançar Dine et AQMI ?

Ançar Dine n’a pas la vocation à imposer la charia à tout le Mali et dans d’autres pays. Et ils ne sont pas djihadistes.

Qu’appelle t-on une charia « soft » ?

Pour eux, il s’agit d’interdire les bars, l’alcool. Ils veulent le port du voile, ils ne veulent pas « couper les mains ».

Y a-t-il une possibilité de négociations ?

La France tente de négocier avec Ançar Dine, un mouvement qu’elle connaît très bien. Un émissaire français se rend même régulièrement sur place pour les rencontrer. Sur quoi portent les négociations ? Le maintien de l’intégrité du territoire. De son côté, le mouvement demande l’application de cette charia « modérée soft »….. Un accord peut être trouvé facilement avec Ançar Dine. Son chef vient souvent à Paris.

Avec le mouvement Azawad, des négociations ont également lieu. Je tente de mon côté de faire rentrer en Libye les Touaregs d’origine malienne. Ce qui signifie que le CNT devra négocier les conditions de retour de ces Touaregs. Autrement dit leur sécurité.

Pour l’instant cela paraît difficile compte tenu du fait que le CNT ne contrôle pas la sécurité et que seules les milices font la loi.

Leur retour est conditionné à leurs conditions de vie et à leur prise en considération dans la nouvelle Libye.

Finalement, la stratégie est d’isoler Al Qaïda, si les soutiens d’Azawad retournent en Libye et que Ançar Dine obtient l’application de la charia. Les Touaregs libyens sont-ils uniquement présents au sein du mouvements Azawad ou peut-on en trouver dans Ançar Dine et AQMI ?

Il y a en a. Mais ils sont majoritairement concentrés dans le mouvement Azawad.

Quels sont les acteurs clefs qui pourraient jouer un rôle au Mali ?

La France a un rôle clef dans la région en raison de son histoire colonialiste. Elle connaît bien la région. Cela va lui donner un avantage certain vis-à-vis des Etats-Unis ou certains pays européens. L’Algérie a également un rôle à jouer pour calmer la situation. Si les deux pays travaillent bien, le calme va revenir au Mali. Les Touaregs doivent aussi pouvoir jouer un rôle. Si Al Qaïda n’est pas combattu par les Touaregs, personne ne peut les chasser du Mali. Il faut donc donner les moyens au Touaregs de combattre Al-Qaïda.

Et au Niger ?

Il y a un an, le président Mahamadou Issoufoua a nommé un Premier ministre touareg, Brigi Rafini pour répondre aux revendications des Touaregs.

Mais l’arrivée massive de Touaregs libyens d’origine nigérienne armés jusqu’aux dents ne risque-t-elle pas de créer des troubles ?

Le gouvernement vient de libérer Aghali Alembo, nigérien et Touareg, ex-responsable du Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ) [NDLR : responsable en 2008 de l’enlèvement des Français d’Areva qui exploite de l’uranium au Niger et qui a été arrêté récemment pour transport d’explosifs et autres armes alors qu’il revenait de Libye]. Il semblerait que le gouvernement l’ait libéré pour calmer les Touaregs auprès de qui il est très écouté.

Qu’en est-il des otages algériens enlevés par le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ?

Les négociations sont toujours en cours. C’est bien une cellule d’AQMI qui les a enlevés. Les négociations sont toujours en cours.. Azawad et Ançar dine qui considèrent l’Algérie très importants pour eux tentent de les récupérer. Ils demandent de l’argent, la libération de personnes détenues par l’Algérie et que celle-ci ne s’oppose pas à la création d’un Etat dans le Nord.

Pourquoi les Touaregs s’impliquent-ils autant ?

C’est leur intérêt, ils craignent que l’Algérie leur ferme complètement les frontières.

Propos recueillis par Hélène Bravin

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