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Refugiés maliens à Djibo : Mêmes conditions de vie, opinions politiques divergentes

Le Faso.net, le 7 juin 2012

jeudi 7 juin 2012, par Tilelli

Les attaques entre militaires maliens et rebelles dans le Nord du Mali ont contraint une population de cette localité à rejoindre la province du Soum (au Burkina Faso) pour éviter les représailles. Sur leur terre d’accueil dans cette partie du pays des Hommes intègres, les refugiés sont installés dans deux localités, Demba et Mentao. A Mentao, où nous avons été les 24 et 25 mai 2012 en compagnie de deux journalistes françaises (Sophie et Cécile), on retrouve les fuyards sur 3 sites, Mentao Nord, Mentao Sud, Mentao centre. Si les refugiés ne tarissent pas de remerciements pour leurs hôtes, ils ne cachent pas les conditions difficiles qu’ils vivent. Habitations de fortune, insuffisance de nourriture, manque de médicaments, enfants, élèves et étudiants dans le désœuvrement. Une véritable galère !

3017, c’est le nombre de refugiés recensés sur les 3 sites de Mentao par le Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) à la date du 23 mai 2012. Les occupants des lieux ayant fui les exactions engendrées par les attaques de l’armée malienne et les rebelles touaregs du Mouvement national de Libération de l’AZAWAD, d’Ansar-dine et d’AQMI ont rejoint Mentao pour la plupart à pieds, à dos de chameau, en charrette ou en voitures.

Comme habitations, des huttes faites de branches coupées et plantées au sol reliées par des fils et des cordes avec pour toiture des nattes bien attachés sur du bois, couvertes à l’extérieur avec des tentes offertes par le HCR. Ces types d’abris, on en dénombre plus d’une centaine sur chacun des trois sites. Y trônent également des douches et des latrines, des fontaines et des baladeurs de distribution d’eau installés par les volontaires de la Croix-Rouge ou d’OXFAM. Les locataires, des Touaregs, des Arabes et des Peulhs issus de plusieurs couches : des agents de l’administration publique ou privée, des commerçants, des artisans, des éleveurs, des élus locaux. Des élèves, des étudiants et des militaires de l’armée malienne aussi. « Nous voulons notre indépendance »

Assis sur une natte au milieu de sa hutte, Yaya Ag Gaytal se confiant être un ancien caporal de l’armée malienne, contient péniblement sa colère contre ses anciens frères d’armes. « Ils ont tué mes quatre cousins qui étaient des militaires et des gendarmes dans la région de Sevaré. Quand les militaires maliens ont su qu’ils ne pouvaient pas faire plier les combattants du MNLA, ils se sont mis à abattre leurs frères d’armes qui sont Touaregs. Que tu sois civil ou militaire, aucune peau blanche n’était épargnée sur leur passage. Ils tuaient froidement les gens. Voyant que je suis une cible à cause de la couleur de ma peau, je me suis sauvé avec ma famille pour venir me réfugier à Mentao Sud », raconte avec un brin d’énervement cet ancien caporal. Se réclamant partisan du MNLA, il dit ne plus être prêt à intégrer l’armée malienne. « Je suis un partisan de l’indépendance de notre territoire. Nous allons prendre cette indépendance par tous les moyens.

Sans cette indépendance, nous ne retrouverons jamais la paix », précise t-il. Plus jeune, Alassane 23 ans, étudiant en année de licence en Lettres modernes montre une haine viscérale contre l’armée de son pays. « Je me demande pourquoi je suis toujours en vie. On m’a pointé une arme. Je ne sais pas pourquoi on ne m’a pas abattu », ne cesse t-il de répéter. Membre fondateur de l’AZAWAD, revendique t-il, pour lui, cette fois-ci, il n’est pas question de négocier. L’indépendance de l’AZAWAD ou le chaos. « Depuis 52 ans, nous subissons toutes sortes de sévices. Les Maliens étaient partis pour exterminer tous les Touaregs. Nous sommes prêts à nous battre jusqu’à la dernière goutte de sang pour notre indépendance », s’enrage le jeune étudiant. Très modéré, Mohomed El Maouloud dit Lollo, le président de la section de Mentao Sud, avoue n’avoir pas une dent contre le Sud du Mali. Il épouse cependant la légitimité de la lutte du MNLA pour l’indépendance. « Personnellement j’ai été éduqué par le Mali, j’ai travaillé dans l’administration malienne. Ce n’est pas le cas de beaucoup de mes frères qui se sentent marginalisés, laissés à eux-mêmes. Et chaque fois qu’il y a des problèmes, l’armée se retourne contre la population civile touareg.

Elle commet beaucoup de massacres envers les Touaregs. C’est pourquoi certains pensent qu’en prenant l’indépendance, ils auront toute la latitude de construire leur sécurité », explique le président de la section. « C’est depuis 1960 que les divergences ont apparu entre le Nord et le Sud du Mali. Les premières contestations du Nord malien conduit par deux ou trois personnes ont été soldées par un massacre de la population. Depuis lors, les deux parties se regardent en chiens de faïence. L’Etat malien n’a rien fait pour pérenniser une bonne entente entre les différentes parties du pays. On a préféré isoler le Nord. Le résultat est que beaucoup de Touareg frustrés ont rejoint la Lybie où ils ont reçu des formations militaires. Nombre d’entre eux ont été des acteurs de la guerre en Lybie. Avec la fin des hostilités qui a vu la mort du Colonel Kaddafi, ils sont revenus mieux préparés pour faire aboutir leur rêve de voir l’indépendance de l’AZAWAD. On comprend que l’armée soit surprise par la témérité et la capacité de résistance des rebelles, mais faire de la population civile sa cible à défaut de pouvoir repousser les rebelles, c’est lâche ! », regrette cet ancien travailleur dans une organisation, porte parole des refugiés de Mentao Sud.

La présidente des femmes de Mentao sud, Naifaissa Waled embouche la même trompette : « Nous sommes perçus comme des étrangers dans notre pays. On ne nous considère pas. Nous n’avons pas assez de représentants dans l’administration malienne. Pour les quelques rares qui y sont, quand il y a des troubles, on les abat. Nous n’en pouvons plus de nous cacher, de fuir chaque 10 ans. Nos enfants ne partent pas à l’école. Ils n’ont pas de boulot rémunérateur. Comment voulez –vous qu’ils ne prennent pas des armes. Qu’on nous donne notre indépendance pour de bon. Nous ne voulons pas nous venger de personne. Nous voulons la paix pour bâtir l’avenir de nos enfants », argumente-t-elle à son tour.

Venue de Bamako Via Bobo-Dioulasso, Alcahidate Walette a perdu son mari pendant cette guerre. Sorti pour exercer ses activités commerciales, il a été abattu. Sa femme qui a assisté à la destruction de son quartier où la majorité des habitants étaient des rebelles a pu se sauver avec ses cinq enfants pour rejoindre Bobo Dioulasso. Elle s’est servie de l’argent des condiments qu’elle détenait par devers elle pour payer les frais du voyage. Pouvoir s’engouffrer dans un car selon ses dires n’était pas chose aisée, les militaires patrouillaient partout pour casser du Touareg, mais elle et ses enfants ont eu plus de baraka que le père de famille qui n’est plus de ce monde. Le seul rêve de cette veuve, c’est de voir l’indépendance de l’AZAWAD. « Il n’est plus question pour moi de retourner à Bamako, j’ai tout perdu là-bas. Tout mon souhait c’est de pouvoir vivre au milieu de mes frères et sœurs dans un AZAWAD indépendant. Je veux que ma progéniture puisse travailler et s’épanouir tranquillement dans un pays qui reconnait leur appartenance », implore-t-elle.

Le mali est unique et indivisible

Si la majorité des Touaregs rencontrés prêchent pour l’indépendance du Nord, ce ne pas le cas des Arabes. Pour cette dernière ethnie partageant le site de Mentao Sud, avec les Touaregs, les plus nombreux se montrent un peu réservés sur les questions politiques, certainement pour être en bonne entente avec leurs voisins. Par contre à Mentao, centre occupé majoritairement par les Arabes, on ne s’embarrasse pas de langage diplomatique pour fustiger les velléités d’indépendance de l’AZAWAD.

« Les rebelles du MNLA sont des éléments venus de la Lybie pour troubler la quiétude de la population. Ceux qui les défendent se trompent. Les gens se cachent derrière l’indépendance pour piller les maigres richesses de la zone. Ils sont en accointance avec les islamistes pour semer l’anarchie, rien que pour leur profit », se convainc Ibrahim Alassane, l’un des portes paroles de la fraction installée sur le site de Mentao Centre. S’il ne réfute pas les exactions commises par l’armée malienne à l’encontre des populations du Nord, il affirme que les rebelles du MNLA en font pire. Des quatre communautés, Arabe, Touareg, Sonraï, Peulh, originaires du Nord du Mali, selon lui, il n’y a que les Touaregs qui parlent de l’indépendance. « Une seule communauté ne peut pas imposer sa volonté aux autres. On ne s’est jamais assis pour discuter sur la question de l’indépendance de notre territoire », soutien Ibrahim et de marteler : « Le Mali est un et indivisible ». « Nous ne soutiendrons jamais des trafiquants et des marchands d’armes », renchérit un voisin d’Ibrahim Alassane. Pour Delancounta, opérateur économique, c’est trop facile d’attribuer les exactions uniquement à l’armée malienne. S’il n’y avait pas rébellion, le militaire n’investirait pas le Nord.

Les responsabilités sont partagées. Il finit par appeler les différentes parties à déposer les armes et à privilégier le dialogue, si tant est que, ceux qui détiennent les armes veulent le bonheur de la population. Très en verbe, Ibrahim Alassane revient à la charge pour demander à l’armée malienne et à la communauté internationale de tout faire pour restaurer l’autorité de l’Etat au Nord. « Si la paix revient cette fois-ci, les acteurs doivent aussi entreprendre rapidement des projets qui puissent susciter de nombreux emplois pour la jeunesse. Sans développement durable, pas de paix », plaide-t-il.

Tous contre les islamistes

Point d’accord entre les Arabes et les Touaregs, l’impossible cohabitation avec les islamistes et surtout l’imposition de la charia. Les deux communautés sont très jalouses de leur laïcité. Le porte parole des Arabes est catégorique : « Nous ne voulons pas voir les islamistes. Ils ternissent notre image. Quelles valeurs pourrait-on attribuer à des gens qui prennent des otages pour prendre des rançons ? Ce sont des bandits. Ces gens ne défendent pas une cause ». Une dame touareg, 32 ans, Fatimata Wolet Hadani exerçant auparavant comme matrone à Tombouctou ne cache pas son appréhension contre les islamistes et les membres d’AQMI. « Je préfère vivre avec l’armée malienne que de vivre avec les islamistes », confie-t-elle.

« Nous touareg, nous sommes un peuple démocratique et laïc. Quand je suis arrivé, j’ai été le premier à vous serrer la main, cette histoire de charia n’existe pas dans nos us et coutumes », fait savoir le président de la section de Mentao Sud à nos deux consœurs françaises. L’ancien caporal de l’armée malienne de son côté jure que les islamistes sont une invention de l’Etat malien pour salir la lutte du MNLA. « Quand nous allons arracher notre indépendance, nous nous occuperons des islamistes. On ne partagera pas le pouvoir avec eux. Il faut que la communauté internationale nous aide dans ce sens » assène le militaire.

Nos différents interlocuteurs sont d’avis que la résolution de cette crise dans le Nord risque de prendre du temps à cause des positions antagonistes. Leur vœu le plus ardent, c’est l’amélioration de leurs conditions de vie sur les différents sites. Les partisans de l’indépendance tout comme les non-partisans vivent les mêmes réalités sur leur terre d’accueil : la précarité. Pour des gens qui disent être habitués à prendre 4 repas par jour, ils se contentent aujourd’hui d’un ou deux repas. C’est la FAO, à travers la Croix-Rouge, qui se charge de la distribution des vivres. Selon les prévisions, une ration alimentaire est accordée chaque deux semaines à chacun des réfugiés recensés et détenteurs d’un ticket. Mais sur le terrain, la réalité est tout autre. Beaucoup disent attendre les recenseurs en vain. La prévision des deux semaines n’est pas respectée. « Ça fait trois semaines que nous n’avons pas vu de distribution.

En 1993 quand nous étions ici, les conditions de vie étaient meilleures. Non seulement la moitié d’entre nous n’en bénéficie pas et pour ceux qui ont la chance, la quantité est dérisoire sans compter que ce qu’on donne n’est pas adapté à nos habitudes alimentaires », fustige Dicko. « Moi je dormais dans une maison climatisée et je mangeais 4 fois par jour principalement du lait, du thé et de la viande. Aujourd’hui je suis sous une hutte, sans électricité, me nourrissant avec du riz et du haricot. Constatez vous-même que c’est la misère », fait remarquer la matrone. Mais ce qui nous préoccupe le plus s’empresse-t-elle de souligner, c’est l’éducation des enfants. « Si on ne nous aide pas à trouver une solution à ce problème, la guerre ne va jamais finir », réaffirme la matrone.

Au sujet de l’insuffisance de la ration alimentaire, l’administrateur sur le site de Mentao, Muller Camara trouve qu’il faut relativiser car le calcul est fait sur une base scientifique. Il reconnaît l’inadaptation des aliments offerts aux habitudes alimentaires des bénéficiaires, arguant que la FAO qui s’occupe de ce volet pourrait voir dans quelle mesure, elle pourrait trouver une solution palliative. Il relève que le nombre élevé des personnes non recensées dénote de la mauvaise foi de certains réfugiés, voulant se faire enregistrer sur tous les sites. Le temps qui est mis avant de procéder à un recensement permettrait de dénicher ces fraudeurs. Concernant la scolarisation des enfants, l’administrateur a annoncé que Plan Burkina s’occupant du volet a discuté de la question au cours d’un atelier, à Dori. Il est prévu la mise en place de centre pour permettre à ceux qui font les examens de composer en même temps que leurs camarades au Mali. Pour ceux qui sont dans les classes intermédiaires, des dispositions seront prises dans le sens de leur faire bénéficier de cours de rattrapage.

Par Ben Ahmed Ouédraogo

- Lire sur le site "Faso.net"

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