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Poisson touareg à Bamako

Valeurs actuelles, le 29 mars 2012

jeudi 29 mars 2012, par Tilelli

Le putsch s’explique par le “problème du Nord” : une rébellion touarègue jamais réglée, renforcée par les armes pillées chez Kadhafi.

A un mois du scrutin présidentiel, initialement prévu le 29 avril, une partie des militaires maliens ont décidé de brusquer le tempo en s’emparant du pouvoir, le 22 mars, au nom d’un Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDR), un libellé plus pompeux qu’annonciateur de changement.

Outre l’ambition de quelques officiers subalternes, ce putsch s’explique par la persistance du “problème du Nord” – la rébellion touarègue incarnée par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) – , dossier jugé mal géré par “ATT”, Amadou Toumani Touré, le président du Mali (14 millions d’habitants), au pouvoir depuis 2002.

« Les mutins, qui affirment s’emparer du pouvoir afin de lutter contre le MNLA, semblent avoir profité du mécontentement général », estime André Bourgeot, chercheur en anthropologie au CNRS. Le MNLA revendique l’indépendance du nord du Mali sur 827 000 kilomètres carrés. La rébellion avait éclaté en 1990 parce que cette région souffrait d’un retard de développement considérable ; les Touaregs étaient victimes de discrimination. « Nous voulions les mêmes droits que les autres citoyens et participer à la gestion du pays, pas l’indépendance », rappellent deux anciens rebelles, Moulaye Ahmed, aujourd’hui chef de brigade des Douanes à Bamako, et Mohamed Ag Mahmoud, directeur général de l’Agence de développement du Nord-Mali.

Pour eux, la situation changea avec le Pacte national signé en 1992 : « De vrais efforts de développement ont été engagés. Nous avions déposé les armes. Aujourd’hui, sur le plan économique, rien ne justifie une rébellion : les trois régions du Nord font partie des six régions les moins pauvres du pays. » Des accords conclus à Alger en 2006 prévoyaient une certaine autonomie et la démilitarisation de la zone nord. « Si ces accords avaient été correctement appliqués, il n’y aurait pas eu de reprise des combats, disent les deux anciens rebelles. La construction de nouvelles bases, combinée avec le non-recrutement de Touaregs dans l’armée, a mis le feu aux poudres. La reprise de l’insurrection a été facilitée par les armes venues de Libye. »

Les hostilités ont repris en janvier à Aguelhok. ATT est accusé d’avoir envoyé ses soldats au combat sous-équipés. Autres griefs, précisés par Anne Doquet, chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales : « Le gouvernement est accusé d’avoir exagéré le nombre de victimes rebelles et minimisé les pertes de l’armée. » Le retour de Libye d’un millier de Touaregs lourdement armés a inquiété : « Les “hommes bleus” ont grossi les rangs du MNLA. »

Plus de 200 000 personnes déplacées en deux mois

Le MNLA a ainsi pu infliger à l’État une défaite humiliante, le 11 mars, à Amachach. La victoire est importante car ce camp possède l’une des rares pistes d’atterrissage de la zone. Mais l’État malien garde des atouts : les rebelles sont divisés. « Certains veulent imposer un État islamique, d’autres réclament l’indépendance, confient Ahmed et Mahmoud. Ce n’est pas la majorité. Ils en ont assez de la violence. »

En deux mois, plus de 200 000 personnes ont été déplacées à cause des règlements de comptes avec les peuples à la peau claire, notamment les Arabes et les Touaregs. Ahmed et Mahmoud contestent tout lien avec Aqmi : « La majorité du MNLA ne partage pas cette idéologie, sauf le groupuscule d’Iyad Aghal, dont le cousin est un émir d’Aqmi. En revanche, tous profitent des moyens de la nébuleuse islamiste. »

Pour André Bourgeot, le prétexte des mutins – mieux affronter la rébellion – ne tient pas : « Le MNLA a annoncé son soutien et ce putsch ne peut que renforcer ses positions en accentuant la désorganisation militaire malienne. » L’affaiblissement de l’État peut aussi profiter aux réseaux de trafiquants, notamment de drogue. « Les mutins n’ont pas l’air d’avoir de projet politique réel , explique l’historien Pierre Boilley, spécialiste de l’Afrique subsaharienne contemporaine. Tant que toute l’armée n’a pas rejoint le putsch, il pourrait ne s’agir que d’une mutinerie accompagnée de pillages. »

Marie de Douhet

- Lire sur le site ed "Valeurs Actuelles"

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