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Rébelion touareg et percée d’aqmi : le Mali au bord de l’implosion

El-Watan, le 24 mars 2012

samedi 24 mars 2012, par Tilelli

La situation chaotique dans laquelle le Mali est en train de basculer n’est que le résultat de la politique du Président, qui a consisté à livrer les trois quarts du territoire de son pays à AQMI, au cartel de la cocaïne colombienne et aux anciens loyalistes armés à El Gueddafi.

Une insurrection militaire dans une caserne de la ville de Kati, dans l’après-midi de mercredi dernier, suivie d’un mouvement de protestation avec jets de pierres dans les rues de la capitale malienne, Bamako, se sont transformés, dès la nuit tombée, en un coup d’Etat. Le général Amadou Toumani Touré (ATT) – qui avait organisé le putsch contre le général Moussa Traoré le 26 mars 1991 pour avoir « mal géré » le pays en proie à une révolte armée des Touareg – vient d’être mis aux arrêts par un capitaine, Amadou Sanogo, inconnu au bataillon et, ironie du sort, pour le même motif : son « incapacité » à gérer la crise au nord du pays. La situation reste très confuse, d’autant que jusqu’à présent, les officiers supérieurs de l’armée malienne auraient refusé de se joindre aux mutins. Ont-ils été dépassés par les événements ? Au fond, voulaient-ils eux aussi précipiter le départ de ATT à quelques semaines de la fin de son mandat ? On n’en sait rien.

Certaines sources ne donnent pas de crédit à ce putsch et n’hésitent pas à voir le retour d’ATT par la grande porte, une fois les esprits calmés. D’autant que lors du siège de la Télévision nationale (tard dans la soirée de mercredi), les putschistes avaient déclaré : « Nous ne voulons pas le départ du président de la République, c’est notre Président, mais il faut qu’il règle les choses. » Mais d’autres sources craignent le pire avec un Nord (représentant les deux tiers du pays) livré aux groupes terroristes, aux cartels de la cocaïne et aux séparatistes du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA).

Depuis son accession au pouvoir à l’issue de son élection en 2002 (après s’être retiré le temps de deux mandats de ses prédécesseurs élus à la suite du coup d’Etat de 1991), ATT n’a fait que cumuler des erreurs. D’abord en permettant aux terroristes d’Al Qaîda de s’installer avec armes et bagages au nord du pays, un territoire que se partagent les cartels de la cocaïne sud-américains, les trafiquants d’armes et les contrebandiers qui sous-traitent leurs activités criminelles. La plus grave erreur du général ATT aura été d’avoir permis le retour d’un millier d’anciens loyalistes à El Gueddafi, lourdement armés, auxquels des camps ont été affectés dans le but, explique le président déchu, de mieux les contrôler.

Or, l’écrasante majorité de ces derniers s’est retrouvée dans les rangs d’AQMI, des organisations de trafic de drogue et d’armes et des indépendantistes touareg. Profitant de ce contexte, feu Ag Bahanga, chef de la rébellion touareg de 2002 (qui avait pris fin en juillet 2006 avec l’Accord d’Alger), désabusé par le refus de Bamako de respecter ses engagements, avait réorganisé ses troupes avant de mourir dans des conditions suspectes, au mois d’août 2011. L’option de l’insurrection armée était prévisible. En janvier de la même année, de nombreux cadres de ce mouvement s’étaient réunis à Alger, exigeant l’ouverture du dialogue avec Bamako sur l’application de l’Accord d’Alger.

Toutes les médiations ayant suivi cet appel se sont heurtées au refus d’ATT de se mettre à l’écoute de la population du nord du pays, confrontée à la sécheresse, au sous-développement, aux maladies et à la pauvreté. Au même moment, les prises d’otages d’Occidentaux par AQMI se multiplient et deviennent un commerce très lucratif pour de hauts responsables militaires et civils, souvent très proches du cercles présidentiel. Ces derniers se bousculent pour servir de « négociateurs » et libérer les captifs en contrepartie de rançons.

Pour ATT, le Mali n’a pas les moyens de s’attaquer aux groupes terroristes qui écument la région. Pourtant, ses voisins nigérien et mauritanien, qui sont aussi pauvres que lui, mènent une bataille sans merci contre ces phalanges de la mort. Interpellé sur les opérations de prise d’otages commises par Al Qaîda, le président malien crée un précédent en permettant à la France, puis à la Mauritanie, d’intervenir militairement sur son territoire. Une dérive qui n’a d’autre explication que l’existence d’un deal avec AQMI : pas d’acte terroriste sur le sol malien contre un asile au Nord. L’arrivée d’un millier d’hommes puissamment armés de Libye n’était pas attendue. Mais ATT, certainement mal conseillé, tente de les gagner en leur permettant de garder les armes. Certains d’entre eux vont même être intégrés dans les rangs de l’armée avec des grades d’officiers supérieurs.

La situation devient explosive et surtout complexe. Ce qui facilite la tâche aux indépendantistes de l’Azawad, qui cumulent les succès sur le terrain. Des villes comme Ménaka Aguelhok, Tinzawatin, Léré et Tessalit tombent vite entre les mains des combattants du MNLA. Un affront pour bon nombre d’officiers du Sud, qui voient la partition de leur pays comme une « trahison ». Manifestement sous-équipés en moyens de communication et de transport, mal formés, les militaires maliens envoyés au nord du pays se considèrent comme de « la chair à canon ». Beaucoup ont préféré rejoindre la rébellion ou refusaient d’aller au front, alors que d’autres sont restés dans leurs camps. Se sentant abandonnés, ces derniers ont préféré exprimer leur colère par des manifestations publiques.

Le 19 mars dernier, leurs épouses ont occupé les rues de la ville garnison de Kati pour revendiquer des armes pour les militaires restés au front, la prise en charge des blessés de guerre et la démission du président de la République. Pris de court par cette sortie, le ministre de la Défense, le général Sadio Gassama, et le chef de l’état-major général des armées, Poudiougou, ont tenté, jeudi dernier, de calmer la situation dans la caserne de Kati, située à près de 15 km de Bamako où les soldats s’étaient rebellés. Dès leur arrivée sur les lieux, ils ont été hués par les mutins très en colère contre le commandement, accusé d’avoir abandonné les troupes aux mains des indépendantistes du Nord.

Les discussions tournent au vinaigre et le ministre de la Défense est vite séquestré, ce qui a conduit ses gardes à faire usage de leurs armes, blessant légèrement un des assaillants. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Venant de partout, soldats et sous-officiers de la première base militaire du Mali mettent à sac les magasins d’armes et de munitions. Armés jusqu’aux dents, ils se sont dirigés vers Bamako pour manifester leur colère. Leur première destination a été le siège de la Télévision nationale, puis la Présidence.

La révolte gagne également la ville de Gao, au nord-est du pays, où siège le commandement des opérations militaires contre le MNLA. Les officiers récalcitrants sont emprisonnés et les indisciplinés sont violemment réprimés. En colère, ces jeunes soldats envoyés au Nord ne comprennent plus les décisions « d’évacuation préventive » des camps militaires présentées par ATT comme étant « une stratégie de protection » de la population civile. Or, tout le monde sait que celles-ci cachaient, en fait, l’impuissance d’une armée rongée par la corruption et le favoritisme face à son adversaire.

En réalité, ATT n’a fait que créer une situation qui ressemble étrangement à celle qui prévalait chez le voisin, la Guinée, avant le coup d’Etat contre le général Lansana Conté, et la Mauritanie, avant le putsch contre le colonel Mahaouya Ould Sid Ahmed Taya. Pensait-il partir, dans un mois, et laisser le chaos à son successeur ? Vraisemblablement, tout porte à le croire quand on voit les complicités dont bénéficient les gros bonnets de la drogue et du terrorisme. Les négociations avec AQMI pour la libération des otages et l’affaire de l’atterrissage de trois gros avions, dont un Boeing, déversant des quantités colossales de cocaïne sud-américaine au nord du pays, sont révélateurs de la politique du chaos adoptée par ATT.

Les subalternes qui l’ont déchu de son poste ont, en réalité, été encouragés par cette même déliquescence qui leur a permis d’accéder au palais présidentiel de Koulouba sans aucune résistance. Peut-on croire que même sa garde voulait son départ ? La réponse sera connue dans les jours à venir…

Salima Tlemçani

- Lire sur le site d’El-Watan

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