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Alain Juppé : "Pour l’Afrique comme pour le monde arabe, Hollande n’a rien à proposer"

Malijet, le 5 mars 2012 (RFI)

lundi 5 mars 2012, par Tilelli

Sénégal, Algérie, Libye, Rwanda, islamistes, rébellion touarègue... Le ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé livre ses vérités, et dresse un bilan plutôt flatteur de son année passée au Quai d’Orsay. Il en profite aussi pour fustiger "l’insignifiance", selon lui, du candidat socialiste à la présidentielle sur les questions africaines.

Lors des grands meetings de campagne de Nicolas Sarkozy, Alain Juppé est assis au premier rang, à droite du Premier ministre, François Fillon. Est-ce parce qu’il devance de loin ces deux hommes dans les baromètres de popularité que le ministre d’État aux Affaires étrangères et numéro deux du gouvernement se contente d’applaudir discrètement, le sourire en coin, aux envolées de son candidat ? Peut-être. À 66 ans, lui dont le cuir a été tanné par toutes les épreuves d’une carrière politique commencée en 1976 à l’ombre de Jacques Chirac se dit chaque jour qu’il aurait dû être en mesure de briguer l’Élysée si le destin en avait décidé autrement. Une certitude qui, jointe à la pudeur et à l’orgueil innés d’un homme convaincu de sa supériorité intellectuelle, donne une certaine distance - et une hauteur certaine - par rapport au héros du jour.

« Je n’ai jamais été sarkolâtre », dit-il - et cela se voit. Ce qui ne l’empêche ni de défendre bec et ongles le bilan, en matière de politique extérieure, de Nicolas Sarkozy - lequel bilan semble, à l’entendre, mériter un triple A, surtout depuis que lui, Alain Juppé, a repris en main le Quai d’Orsay -, ni d’attaquer comme il se doit les positions en ce domaine du candidat socialiste François Hollande, face à qui il a débattu (et quelque peu déçu) à la télévision fin janvier. Entretien avec un ministre toujours aussi droit dans ses bottes.

Jeune Afrique : Les effets collatéraux de la chute de Mouammar Kaddafi se font sentir actuellement au Mali, avec la rébellion touarègue. L’Otan et la France en particulier n’ont pas su les anticiper. Était-ce une erreur ?

Alain Juppé : Notre seule priorité était de porter secours à la population de Benghazi. Comme vous l’imaginez, nous étions sommés d’agir face à l’urgence, et il est un peu facile a posteriori de nous faire des reproches. Maintenant, il est évident que le problème de la dissémination des hommes et des armes se pose à travers toute la bande sahélo-saharienne. Nous encourageons les États de cette région à mieux s’organiser pour y faire face.

Pourtant, dès le début de votre opération en Libye, des chefs d’État comme Idriss Déby Itno avaient lancé des mises en garde précises contre ses effets pervers.

Oui. Mais elles n’étaient pas de nature à nous dissuader de protéger la population libyenne contre la folie criminelle de Kaddafi.

Les autorités maliennes doivent-elles négocier avec les rebelles du Mouvement national pour la libération de l’Azawad, le MNLA ?

La France est très attachée à la sécurité et à l’intégrité territoriale du Mali. Mais la seule façon d’arrêter la violence, c’est effectivement de se parler. Nous incitons donc le gouvernement malien à dialoguer avec toutes les parties concernées, y compris bien entendu avec le MNLA.

Le président Amadou Toumani Touré (ATT) en est-il convaincu ?

Il me paraît ouvert à cette perspective. C’est en tout cas ce qu’il m’a confirmé récemment au téléphone. Il n’a pas de refus de principe.

Avez-vous des reproches à formuler au président ATT quant à sa gestion de la crise ?

Blaise Compaoré m’a assuré au téléphone que rempiler n’était pas dans ses intentions.

La France n’a ni leçons à donner ni reproches à formuler. Nous savons à quel point ce genre de situation est difficile à maîtriser. Je pense cependant que des efforts supplémentaires en matière de développement du Nord-Mali restent à faire, d’autant que l’accord politique d’Alger de 2006 est demeuré largement lettre morte.

Vous êtes intervenu directement dans le débat politique au Sénégal à la veille de la présidentielle du 26 février, d’une manière que le président Wade a peu appréciée. Considérez-vous qu’il n’avait pas à se représenter ?

Je n’ai pas dit cela. J’ai dit que la France n’avait pas de candidat et que nous souhaitions une élection transparente et loyale. J’ai ajouté que nous regrettions la mise à l’écart du processus de choix de certaines sensibilités. J’ai conclu sur une évidence : il y a dans toute démocratie des moments où il faut bien organiser un passage des générations. J’ai bien précisé que la décision appartenait au peuple sénégalais.

Vous avez ajouté que ce message avait été entendu à Dakar. Manifestement, il n’a pas été suivi...

On verra, la parole est aux Sénégalais.

L’âge d’Abdoulaye Wade est-il un problème ?

Je me souviens de la maladresse de Lionel Jospin quand il avait attaqué Jacques Chirac sur ce thème et je ne m’aventurerai donc pas sur ce terrain. Ce qui peut poser problème, par contre, c’est la durée excessive de l’exercice du pouvoir.

Que pensez-vous des chefs d’État qui cherchent à faire modifier les Constitutions pour briguer de nouveaux mandats ?

Ce n’est pas une bonne méthode et c’est de plus en plus difficilement accepté par les peuples, sur tous les continents. Il est vrai que la Constitution française n’imposait aucune limite jusqu’à ce que Nicolas Sarkozy introduise la règle des deux mandats successifs. Le référent français en la matière, qui servait à certains pour justifier leur tentative de bricolage, n’existe donc plus.

Le dites-vous explicitement aux chefs d’État concernés ?

Oui.

Au président Compaoré du Burkina, par exemple ?

Cela a été dit au président Blaise Compaoré depuis longtemps. Je me souviens d’une conversation téléphonique que j’ai eue avec lui en 2011, au cours de laquelle je lui ai dit de bien réfléchir avant de s’engager dans cette direction.

Et que vous avait-il répondu ?

Que rempiler, comme on dit, n’était pas dans ses intentions.

Avec les islamistes maghrébins, notre ligne est claire : confiance et vigilance.

Des législatives auront lieu le 10 mai en Algérie, dont les islamistes pourraient sortir vainqueurs après avoir remporté les suffrages en Tunisie et au Maroc. Une telle perspective vous inquiète-t-elle ?

S’il y a des élections libres, au nom de quoi en critiquerions-nous les résultats ? Quand le président du Conseil national de transition [CNT] libyen, Mustapha Abdeljalil, se qualifie lui-même d’islamiste modéré, quand je lis dans le programme d’Ennahdha en Tunisie des principes qui nous conviennent en matière de respect des droits et d’alternance, quand je vois comment se comporte le Parti de la justice et du développement (PJD) au Maroc, je me dis que nous avons affaire là à des gens avec qui on peut parler. Notre ligne de conduite est claire : confiance et vigilance. Confiance, car les élections qui ont porté ces forces au pouvoir ont été démocratiques ; vigilance, car il existe des lignes rouges à ne pas franchir.

La ligne rouge, ce sont les salafistes ?

Nous avons les plus grands doutes les concernant. La ligne rouge, c’est le refus de la démocratie et de la règle de l’alternance, c’est la non-renonciation à la violence, c’est l’atteinte aux droits de l’homme et de la femme, aux droits des minorités.

J’ignore si votre successeur en cas de victoire de François Hollande sera Laurent Fabius, mais il se comporte comme tel. De retour d’un voyage dans le Golfe et en Israël, il a, dit-il, rencontré des dirigeants qui avaient déjà intégré la perspective d’une alternance politique en France. Une réaction ?

La même que celle que m’a inspirée l’attitude de François Hollande lors du débat que j’ai eu avec lui à la télévision : beaucoup d’arrogance. Ils oublient un peu vite que les Français n’ont pas encore voté. J’ajoute que l’apport du candidat socialiste dans le débat international actuel est voisin de zéro.

Laurent Fabius s’est également rendu au Gabon, où il s’est réjoui de l’excellence des relations entre ce pays et la France...

C’est bien ce que je vous disais : j’aurais pu faire la même déclaration. Où est la valeur ajoutée ? Les rares prises de position de M. Hollande ou de son porte-parole, M. Fabius, en matière de politique étrangère ne sont qu’un mauvais copier-coller de ce que nous faisons. À une exception près : l’Afghanistan, où il prône un retrait total de nos troupes pour la fin 2012, c’est-à-dire en huit mois. Un tel scénario serait non seulement déshonorant pour nos armées qui prendraient la poudre d’escampette, mais, plus grave encore, il serait irréalisable dans de bonnes conditions de sécurité pour nos troupes.

Tout de même. Dans une interview à Jeune Afrique en août 2011, François Hollande a clairement marqué sa différence en matière de politique africaine : « Je ne tiendrai pas de discours comme celui, profondément blessant, qu’a tenu Nicolas Sarkozy à Dakar. J’en terminerai avec les rapports de domination, d’influence et d’affairisme pour les amis du pouvoir. » N’est-ce pas là une rupture ?

Je ne reviendrai pas sur le discours de Dakar. Si certaines de ses formulations n’étaient pas des plus heureuses, il faut juger la politique menée par la France depuis cinq ans en Afrique sur les actes. Je ne sais pas qui vise M. Hollande. De quels rapports de domination parle-­t-il ? Avons-nous dit aux Sénégalais, aux Camerounais, aux Congolais pour qui ils devaient voter ? Jamais. Nous avons renégocié tous les accords de défense et de coopération : ils ne sont plus secrets, ils ne comportent plus de clause d’assistance aux régimes en place, ils sont ratifiés par les Parlements. Ce que vous a dit le candidat socialiste relève de la langue de bois classique du XXe siècle, quand la politique africaine de la France, qui était d’ailleurs celle suivie par François Mitterrand, se plaçait sous le signe des pesanteurs héritées du passé. Je crois que les socialistes feraient bien de balayer devant leur porte : leur soutien presque jusqu’au bout à Laurent Gbagbo et à son régime dénote de leur part un vrai déficit démocratique.

François Hollande, lui, s’était nettement démarqué de Gbagbo.

Oui, mais un peu tard. Et pas son parti.

Vous soutenez que la Françafrique est une vieille lune. Pourtant, une personnalité emblématique comme Robert Bourgi a été reçue à l’Élysée au moins jusqu’à la fin de 2011. N’est-ce pas contradictoire ?

Nous sommes très fiers de l’ovation réservée à Sarkozy lors de l’investiture de Ouattara.

Je n’ai jamais rencontré M. Bourgi depuis que je suis au Quai d’Orsay, et il ne joue aucun rôle dans la politique de la France. Voir et analyser ce que nous faisons en Afrique à travers le trou de souris de tel ou tel intermédiaire relève de la pure mesquinerie. Cela n’a aucun sens.

Le président congolais Denis Sassou Nguesso a été reçu il y a peu à l’Élysée par Nicolas Sarkozy en votre présence, audience aussitôt critiquée par le Parti socialiste. Vous vous y attendiez ?

Pensez-vous que Denis Sassou Nguesso ne serait pas reçu à Paris, au cas où d’aventure M. Fabius devait s’installer dans ce bureau ? Je suis prêt à prendre le pari qu’il le serait. Tant que M. Sassou Nguesso est chef de l’État, il n’y a aucune raison pour qu’il ne soit pas notre hôte.

Le gouvernement équato-guinéen a protesté auprès de vous, à la suite de la perquisition opérée au domicile parisien du fils du président Obiang Nguema. Comptez-vous intervenir ?

Non. Nul n’est fondé, au nom de la raison d’État, à empêcher cette perquisition. La justice doit faire son travail en toute indépendance. La procédure suit son cours, comme elle suit son cours dans le cadre de ce qu’on appelle plus généralement les « biens mal acquis ».

La relation franco-africaine aurait-elle à souffrir, selon vous, de l’arrivée des socialistes au pouvoir ?

Je crains que la politique de M. Hollande ne soit en ce domaine très imprécise et variable au fil des influences. Cela dit, quand je vois M. Fabius proclamer ses bonnes relations avec le Gabon et ne remettre en question aucun de nos arbitrages, cela me rassure un peu. Je me dis que nous devons avoir une bonne politique africaine. Dès lors, pourquoi préférer la copie à l’original ?

Parmi les reproches qui sont formulés à l’encontre de Nicolas Sarkozy figurent l’accueil en grande pompe réservé à Kaddafi en 2007 et l’évident retard à l’allumage concernant la révolution tunisienne. Les acceptez-vous ?

Quand on n’a ni idées, ni programme, ni projet et qu’on n’a rien à dire sur l’avenir, on se complaît dans la critique d’un passé révolu. Oui, Kaddafi a été reçu à Paris par le président Sarkozy tout comme Hosni Moubarak l’a été à Washington par Barack Obama quelques mois avant la révolution égyptienne. Mais il l’a été à un moment où tout le monde le recevait car il était en train de réintégrer la communauté internationale. Quant à la Tunisie, qui n’a pas eu de retard à l’allumage ? Depuis, nos rapports avec Tunis sont excellents. Lorsque j’y suis allé, tous mes interlocuteurs, président de la République, Premier ministre, président du Parlement, m’ont parlé de l’« autoroute » qui s’ouvre devant nous en matière de coopération en des termes plus que chaleureux. Il n’y a que les socialistes français pour ressasser le passé dans un but purement politicien. Ça ne les honore pas.

L’emploi du mot civilisation était à mon avis inadéquat. Tous les régimes, toutes les idées politiques ne se valent pas. Mais il n’y a pas de hiérarchie des civilisations.

Vous avez souhaité que les commémorations du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, en juillet prochain, se déroulent dans un « esprit de modération ». Ce qui vous a valu une volée de bois vert de la part de la presse algérienne, sur le thème « de quoi vous mêlez-vous ? ». Comptez-vous rectifier le message ?

Nous n’avons pas reçu le même écho que vous de l’Algérie. Ce qui compte, c’est ce que m’a confié le président Abdelaziz Bouteflika quand je suis allé le voir : « Je suis d’accord avec vous, m’a-t-il dit, pour que nous abordions vous et nous cette commémoration dans un esprit de modération. » Nous sommes d’accord pour nous tourner ensemble vers l’avenir.

Le rapport Trévidic sur l’origine de l’atten­tat en 1994 contre l’avion du président rwandais Habyarimana, qui exonère son successeur Paul Kagamé de toute responsabilité, vous a-t-il convaincu ?

Je ne me mêle pas des enquêtes judiciaires en cours. Pour le reste, je suis tout à fait partisan de l’établissement de bonnes relations entre la France et le Rwanda. Ce que je n’accepterai jamais, en revanche, c’est que l’on mette en accusation notre politique étrangère à l’époque du génocide. J’ai été le premier, à la tribune de l’ONU, à l’Assemblée nationale française, à Paris, puis à Bruxelles, à dénoncer le génocide. Quant à l’opération militaire Turquoise, elle a été à l’honneur de la France. Elle a permis de sauver des dizaines de milliers de vies. J’ai là-dessus une certitude absolue.

Le Rwanda vient de refuser son accréditation au nouvel ambassadeur de France. Comptez-vous réagir ?

C’est une surprise que rien ne laissait prévoir depuis la visite à Paris du président Paul Kagamé. C’est leur droit, et nous avons rappelé notre ambassadeur pour consultations afin de comprendre cette décision. Puis-je en revanche vous poser une question : y a-t-il une seule chose qui, à vos yeux, fonctionne dans les relations franco-africaines ? À vous écouter, il n’y aurait que des problèmes.

Parlez-nous de ce qui va bien...

Eh bien, nous sommes très fiers du retour de la démocratie en Côte d’Ivoire, très fiers d’avoir entendu le président Sarkozy être ovationné à Yamoussoukro lors de l’investiture d’Alassane Ouattara. Très heureux aussi de l’état de nos relations avec le Maroc et la Tunisie, ainsi que de nos rapports apaisés avec l’Algérie. Au sud du Sahara, nous n’avons de contentieux avec personne, ni avec le Nigeria, ni avec l’Éthiopie, ni avec l’Angola, ni avec l’Afrique du Sud. Nous avons invité les Africains au G8 et au G20. Bref, entre la France et l’Afrique, je vois surtout d’excellentes relations, et très peu de problèmes.

Difficile de dire que tout va bien entre Paris et Pretoria quand les Sud-Africains font campagne à l’Union africaine contre le président de la Commission sortant, Jean Ping, sur le thème du « candidat de la France ».

Je l’ai dit et redit moi-même au président Jacob Zuma dans son bureau : la France ne soutient personne. Ce n’est pas notre faute si la candidate sud-africaine a échoué.

Si Nicolas Sarkozy est réélu, serez-vous son Premier ministre ?

Chaque chose en son temps. J’ai passé l’âge des plans de carrière.

Et s’il est battu, ce sera retour à Bordeaux ?

C’est toujours un plaisir de retourner à Bordeaux. Mais je ne crois pas à l’hypothèse de la défaite.

Difficile pourtant d’être optimiste quant aux chances de victoire de votre candidat...

Je suis réaliste. Bien sûr, ce sera difficile, mais rien n’est joué. C’est dans l’intérêt de la France que Nicolas Sarkozy soit réélu.

Une chose est sûre : la politique étrangère ne sera pas un enjeu de l’élection.

Oui, et c’est dommage. Si c’était le cas, Nicolas Sarkozy serait à peu près sûr d’être réélu, y compris par les socialistes puisqu’ils n’ont jamais critiqué nos interventions en Libye ou en Côte d’Ivoire.

François Hollande a pointé vos rechutes d’arrogance.

En ce qui me concerne, j’ai le sentiment d’avoir fait mon examen de conscience. Chez lui, la maladie est en plein développement.

___ Propos recueillis par François Soudan.

- Lire sur le site de malijet

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