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AQMI en état de siège

Magharebia, le 13 anvier 2012

jeudi 26 janvier 2012, par Tilelli

Rongée par des luttes de pouvoir intestines et par des accusations de répartition injuste de l’argent des rançons, al-Qaida au Maghreb islamique se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins.

Les groupes terroristes de la région du Sahel-Sahara sont dans une situation critique. Leurs dirigeants sont engagés dans des luttes intestines, leurs ressources se tarissent et, au lendemain du Printemps arabe, leurs méthodes violentes sont perçues par les citoyens comme moins efficaces que le combat pacifique.

Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) fait face à une dérive interne majeure, notamment au sein de ses brigades sahariennes, a écrit le quotidien algérien Ennahar dans son édition du 2 janvier.

Mohammed Ghadir (alias Abdelhamid Abou Zeid), le chef de la katibat "Tariq ibn Ziyad", et Khaled Abou El Abass (alias Mokhtar Belmokhtar, ou "Laaouar"), qui dirige la brigade El Moulethemine, s’affrontent pour le contrôle de l’émirat saharien d’AQMI.

Chacun reproche à l’autre l’échec des opérations de trafic d’armes et la baisse dans les rangs de leurs partisans.

Après la récente hausse du nombre de terroristes repentis, illustrée par plusieurs redditions enregistrées en décembre, Abou Zeid a accusé Laaouar de n’avoir pas su contrôler ses partisans. Des renseignements fournis le mois dernier par d’anciens combattants ont permis aux agences de sécurité de faire avorter des opérations terroristes qui n’en étaient encore qu’au stade de la planification.

Abou Zeid cherche depuis longtemps à saper l’autorité du chef d’AQMI Abdalmalek Droukdel (alias Abou Moussaab Abdelouadoud) pour contrôler al-Qaida dans le désert, tandis que Laaouar refuse la confrontation directe et lui préfère la négociation et le dialogue.

Laaouar a profité de la guerre en Libye pour mettre la main sur un important stock d’armes libyennes, une initiative qui le place sur un pied d’égalité avec Abou Zeid dans l’équilibre des pouvoirs.

La nomination par Droukdel d’un nouvel émir, Abou Alghama, n’a fait qu’aggraver ces luttes internes. Si Belmokhtar a accepté la décision de Droukdel, Abou Zeid s’y est opposé.

"AQMI est aujourd’hui dans une situation désespérée", explique le journaliste mauritanien Mohammed Ould Sidi al-Moctar. "Si ses bataillons passent à l’action, ils deviennent la cible du feu des pays du Sahel. S’ils restent dans leurs repaires, ils ne parviennent pas à s’approvisionner et ne sont alors plus en mesure de lancer des opérations."

"Les récentes campagnes au Mali, en Algérie et en Mauritanie destinées à arrêter les fournisseurs d’al-Qaida n’ont fait que renforcer la perception de leur situation critique par les terroristes", poursuit-il. [AFP/HO] Les deux commandants des principales brigades sahéliennes du leader d’AQMI, Abdelmalek Droukdel, sont en lutte pour le pouvoir.

[AFP/HO] Les deux commandants des principales brigades sahéliennes du leader d’AQMI, Abdelmalek Droukdel, sont en lutte pour le pouvoir.

Ces rivalités entre les chefs des katibats, les tentatives de la part des chefs terroristes de coopter l’argent des rançons, le développement des réseaux criminels et de trafic de stupéfiants, et les conflits à la tête de l’organisation se font durement ressentir sur l’organisation.

Il est aujourd’hui plus difficile que jamais de convaincre les jeunes de mener des opérations suicides, notamment lorsque les jeunes recrues voient leurs chefs s’attacher essentiellement à l’argent et au pouvoir.

En comparaison avec la vague de violence qu’avait connue la région entre 2001 et 2008, le nombre d’attaques terroristes attribuées à AQMI a fortement chuté, selon un rapport de 2010 de l’Institut Thomas More, un cercle de réflexion européen indépendant.

Les terroristes ont alors eu recours à d’autres moyens.

"AQMI a amassé près de 130 millions de dollars en moins de dix ans en enlevant au moins cinquante ressortissants étrangers et en les cachant au Mali", a écrit le mois dernier Jemal Ferchichi dans le journal tunisien Assabah.

Mais l’accent mis par le groupe sur l’enlèvement d’étrangers pour assurer son financement pourrait bien être à l’origine de sa perte, laisse entendre Sidi Mohammed Ould al-Mustafa, un journaliste de Nouakchott spécialisé dans les affaires religieuses.

"Ce faisant, l’organisation terroriste devient un groupe de mercenaires qui n’a rien à voir avec "la guerre religieuse au nom du Seigneur" par le biais de laquelle al-Qaida tentait jusqu’alors de s’attirer la sympathie des sociétés musulmanes", explique-t-il à Magharebia.

"L’organisation rend invalide le concept du devoir sacré que recherchaient certains jeunes impétueux qui avaient rejoint al-Qaida", affirme-t-il.

Hamadi Ould Dah, spécialiste du terrorisme, reconnaît que "al-Qaida a connu un sérieux revers".

"Dans le passé, l’organisation lançait des attaques contre des casernes de l’armée et s’engageait dans des confrontations armées qui coûtaient la vie à des soldats", poursuit-il. Par la suite, les terroristes ont choisi d’enlever des Occidentaux et des travailleurs humanitaires sans armes. Plus récemment, al-Qaida a connu des divisions dans ses rangs et des différends entre ses dirigeants fondés sur l’argent.

"Si nous traçons une courbe de la violence d’al-Qaida, nous remarquons qu’elle baisse avec le temps", explique-t-il.

L’organisation a été affaiblie, explique Ould Dah, en partie à cause du renforcement de la "coordination sécuritaire entre les pays du Sahel et le soutien de leurs alliés occidentaux dans leurs efforts d’éradiquer les groupes terroristes qui menacent la paix dans la région".

Il en accorde également le mérite au dernier allié en date dans la lutte contre al-Qaida, les Touaregs.

Le fait que des communautés ethniques ou tribales comme les Touaregs soient prêtes à participer à la lutte contre al-Qaida est la preuve que le groupe terroriste est en état de siège, affirme Ould Dah.

Il y a quelques semaines seulement, le Mouvement national pour la libération d’Azaouad (MNLA), un groupe séparatiste touareg présent dans le nord du Mali, a fait part de son intention de lutter contre le groupe terroriste.

"La détermination de chacun à le combattre signifie que sa fin est proche", a ajouté Ould Dah.

AQMI a également connu des défections dans ses rangs, à l’instar du Jamat Tawhid Wal Jihad Fi Garbi Afriqqiya (Mouvement pour l’unité et le djihad en Afrique de l’Ouest). Ce groupe auparavant inconnu a revendiqué le 10 décembre l’enlèvement de trois Européens travaillant pour une ONG en octobre dernier dans le camp de Rabuni près de Tindouf.

Ce défections venant s’ajouter aux conflits de leadership entre Laaouar et Abou Zeid, la structure fondamentale du groupe terroriste apparaît désormais très instable. [AFP/Issouf Sanogo] Selon un accord de sécurité datant de décembre 2011, l’armée nigérienne mènera des patrouilles aux frontières en coordination avec l’armée algérienne.

[AFP/Issouf Sanogo] Selon un accord de sécurité datant de décembre 2011, l’armée nigérienne mènera des patrouilles aux frontières en coordination avec l’armée algérienne.

Les pays du Sahel capitalisent sur ces dissensions et s’attachent à resserrer l’étau.

La Mauritanie a récemment mis en place trois zones sécuritaires, en déployant des troupes sur ses frontières sud, sud-est et nord-est pour empêcher de possibles infiltrations par des groupes terroristes ou des trafiquants. L’Algérie a renforcé son appareil de renseignement à proximité de la frontière désertique du sud, et le Mali a accordé aux soldats algériens et mauritaniens le droit de poursuivre des groupes criminels sur son territoire.

"Cette réponse active de la part des Etats concernés, ainsi que le récent conflit interne au sein d’AQMI, précipitera en fin de compte la chute d’al-Qaida en tant qu’appareil terroriste et donnera naissance à de nouvelles organisations, dont le profil reste encore inconnu", explique l’analyste Issa Ould al-Yadali à Magharebia.

Mais ces nouvelles organisations auront "des difficultés à déstabiliser la région", ajoute-t-il.

L’une des raisons, explique le journaliste al-Rajel Ould Omar, en est que les communautés défavorisées dans les pays du Sahel affichent déjà une forte aversion face au terrorisme. Al-Qaida a projeté leurs enfants vers un avenir incertain en utilisant les promesses de l’argent pour les impliquer dans des activités de trafic, d’enlèvement et d’autres crimes, indique-t-il.

"Les signes de la désintégration imminente d’al-Qaida au Sahel et au Sahara sont manifestes, notamment après la mort du leader d’al-Qaida Oussama ben Laden et après que les Talibans d’Afghanistan eurent entamé des tractations politiques", souligne Mohamed Saleck Ould Dahi, spécialiste des groupes islamiques.

"Les petits groupes terroristes au Sahel sont affectés par les coups portés à l’organisation-mère al-Qaida", ajoute-t-il. "Le recours aux enlèvements est une preuve de leur désespoir. De plus, les jeunes Musulmans ont trouvé ce qu’ils cherchaient dans les révolutions arabes pacifiques et en sont même devenus les auteurs." Articles liés La dissidence d’un groupe d’al-Qaida révèle une désintégration interne

"L’idée d’un Islam coexistant a prévalu sur celle d’un Islam belligérant", et les jeunes qui autrefois sympathisaient avec l’idéologie extrémiste d’al-Qaida ont commencé à s’en éloigner, dit-il.

"Cela signifie que les flux de jeunes rejoignant les camps d’al-Qaida se tarissent. Loin de faire exploser des bombes, ces jeunes préfèrent être des acteurs positifs dans la machine du changement social", souligne ce chercheur islamique.

"Dans cette affaire, le grand perdant, c’est AQMI."

Raby Ould Idoumou
pour Magharebia à Nouakchott 13/01/12

- Lire l’article sur le site de Magharebia

Raby Ould Idoumou est un journaliste de Nouakchott spécialisé dans les affaires du terrorisme. Il est également directeur de la communication pour l’Association mauritanienne des droits de l’Homme (AMDH).

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