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Brahim Ag Bahanga : « AQMI s’est bien équipée grâce au Mali et certains Etats occidentaux »

El Watan, le 29 août 2011

lundi 29 août 2011, par Tilelli

Contacté vendredi dernier, quelques heures avant sa mort, Brahim Ag Bahanga, leader du mouvement touareg du Nord-Malie, avait accepté de nous accorder un entretien portant sur la situation explosive que vit la région. Coordonnée avec son porte-parole, Bilal Ag Sherif, l’interview lève le voile sur les relations de son mouvement avec El Gueddafi et l’avenir incertain du nord du Mali.

- Des rumeurs font état de la présence de Touareg maliens dans les rangs des forces loyalistes de Mouammar El Gueddafi. Qu’en est-il au juste ?

Il faut se rappeler qu’un nombre important de gens a acquis la nationalité libyenne, dès la fin de la rébellion de 1990. Le guide libyen ne voulait pas que les Touareg reviennent chez eux et grossissent la rébellion. Il a accordé la nationalité libyenne à tous ceux qui voulaient intégrer les rangs de son armée. Parmi eux, il y a quelques centaines de Touareg. L’objectif était qu’il puisse les utiliser à des fins hostiles au devenir de la communauté. Lors de l’insurrection libyenne, quelques centaines de Touareg maliens ont déserté les rangs, d’autres ont rejoint la rébellion libyenne, beaucoup sont revenus dans le nord du Mali et quelques centaines sont restées dans l’armée loyaliste. Les téléphones portables de ces derniers ont été confisqués. Ils ne peuvent plus communiquer avec le monde extérieur ni entrer en contact avec personne. Ils ne savent pas ce qui se passe autour d’eux. Selon les informations que nous avons obtenues auprès de nos compatriotes, ceux qui tentent de fuir sont immédiatement exécutés. Nous les considérons comme séquestrés. Nous savons qu’El Gueddafi recrutait des enfants âgés entre 15 et 18 ans et dès le début de la révolution en Libye, il leur faisait croire qu’ils allaient faire une formation et non pas la guerre. Une fois sur le terrain, c’était le contraire qui se passait. Il les a fait massacrer à Misrata. Ces enfants ne savaient même pas utiliser des armes et ils ne les ont d’ailleurs jamais utilisées. El Gueddafi a commis un crime en les enrôlant de force et en exécutant ceux qui tentaient de fuir. Les Touareg ont toujours souhaité qu’El Gueddafi parte de la Libye, parce qu’il a toujours tenté de les exploiter sans aucune contrepartie. Ses alliés sont ceux qui passent leur temps à faire du mal à la région. Il le faisait discrètement, mais très méchamment. Ses plus nombreux alliés se comptent parmi les Etats opposés aux Touareg, ceux qui ne veulent pas que ces derniers aient des revendications politiques. En résumé, pour El Gueddafi, les Touareg ne doivent pas exister comme une identité. Pour arriver à ses fins, il a déboursé un argent fou pour acheter le silence de plusieurs politiques touareg, des cadres et même des femmes et des enfants. Son but, faire en sorte que la communauté se taise à tout jamais. Nous avons été témoins de toutes ces manigances.

Il est important de préciser que les Touareg nord-maliens ne sont pas partis grossir les rangs du dictateur libyen. Aucun, à notre connaissance, n’a été le soutenir. Nous ne parlons pas des gens de Bamako qui ont reçu de grosses enveloppes financières, remises en main propre par le chef de cabinet du guide libyen afin d’organiser l’acheminement de mercenaires depuis Bamako jusqu’en Libye. Mais les Touareg du Nord malien ne sont pas concernés. Ils étaient occupés à réorganiser les rangs de leur mouvement. La chute d’El Gueddafi a donné un nouveau souffle à l’organisation, qui se voit ainsi libérée des pressions et des menaces qui pesaient sur ses cadres dirigeants et sa base. Nos jeunes n’ont pas bougé. Tous ont milité, chacun à sa façon pour le départ d’El Gueddafi, parce qu’ils le connaissent assez bien et maîtrisent la politique de son pays.

- De nombreux touareg maliens, présents en Libye, sont retournés au nord du pays dotés d’un lourd armement. Quel est votre avis ?

C’est vrai que plusieurs familles sont revenues, surtout celles de la région de Tombouctou, depuis la révolution libyenne. Elles n’ont pas été accueillies par les autorités maliennes. C’est toujours la solidarité targuie qui leur a permis d’être prises en charge. On parle effectivement de petits groupes qui sont revenus avec des armes. Certains ont retrouvé leurs familles qu’ils n’ont pas vues depuis plusieurs années. Depuis le début de l’insurrection populaire, tous les jours il y a quelques personnes qui désertent l’armée libyenne. D’autres rumeurs parlent de petits groupes revenus avec des armes individuelles. Ceux qui parlent d’un grand retour des Touareg armés exagèrent. Ce qui est vrai, la rébellion en Libye constitue pour les Touareg une occasion de revenir chez eux et de demander des comptes à l’Etat malien, qui s’est toujours rangé du côté de la Libye contre sa population du Nord.

- Quel impact peut avoir la disparition d’El Gueddafi sur le devenir du mouvement touareg malien ?

La disparition d’El Gueddafi est une bonne nouvelle pour l’ensemble des Touareg de la région. Les objectifs du colonel ont toujours été à l’opposé de nos aspirations. Nous n’avons jamais eu d’objectifs identiques, c’est plutôt le contraire. Il a de tout temps tenté d’utiliser les Touareg à ses fins et au détriment de la communauté. Son départ de la Libye ouvre la voie à un avenir meilleur et permet de progresser dans nos revendications politiques. Nous pouvons mieux se faire comprendre sur le continent et avec les autres pays occidentaux. El Gueddafi faisait barrage à toutes les solutions de la question targuie. Il a alimenté des divisions internes pour faire en sorte que les animateurs ne puissent pas s’entendre sur un minimum. Maintenant qu’il est parti, nous pouvons aller de l’avant dans notre lutte. Même durant sa chute, il continue à salir notre communauté en faisant croire qu’il a son soutien, mais la réalité est tout autre sur le terrain.

- La situation au nord du Mali inquiète à plus d’un titre, notamment depuis que AQMI en a fait sa zone de prédilection. Comment un tel constat peut-il être possible dans un territoire qui appartient aux Touareg ?

C’est vrai que cette région est un territoire targui. Mais la politique de certains Etats a fait en sorte que les Touareg n’aient plus une emprise sur leur territoire. Lors des affrontements de janvier 2010, entre l’armée malienne, sa milice et le mouvement touareg, tout a été fait pour que les groupes AQMI viennent s’installer dans la région avec le feu vert de Bamako. Cela fait plus de 50 ans que les Touareg sont opprimés dans leur région. L’Etat malien fait toujours en sorte qu’aucune stabilité politique ou économique ne soit instaurée. Ce qui nuit terriblement à l’image de notre communauté. C’est l’Etat malien qui a permis à ce que des terroristes prennent refuge au nord du Mali, et de surcroît non loin des casernes. Les deux se sont entendu pour nous chasser de nos terres. Les Touareg savent qu’ils sont sur leur territoire et qu’ils doivent le nettoyer pour y vivre. Mais reconnaissons-le, avec quels moyens allons-nous mener cette guerre ? AQMI s’est équipée grâce au Mali et à certains pays occidentaux. C’est avec l’autorisation de Bamako que les otages sont enlevés et c’est toujours avec sa bénédiction qu’ils sont dirigés vers le nord du Mali, pour y être cachés et protégés. Ils seront par la suite achetés par les Etats occidentaux qui acceptent de payer de fortes rançons, tout en sachant que cet argent va financer AQMI et ses prestataires de services, ces intermédiaires privilégiés de Bamako. Le repli des terroristes en territoire malien n’a pu se faire que grâce à la complicité de l’armée malienne et ceux qui la commandent. Depuis trois jours, dans le cadre de la formation américano-malienne à Kidal, les militaires maliens bombardent, avec des hélicoptères et des avions, des rochers situés à 2 km de la ville de Kidal. Ils terrorisent les enfants et les femmes au lieu d’aller tester leurs armes là où se trouvent les bases terroristes qu’ils connaissent pourtant bien. Les Touareg sont devenus la cible privilégiée des terroristes d’AQMI, qui campent près des casernes et qui détiennent les otages occidentaux. Nos imams militent et sensibilisent nos jeunes et les familles contre cette religion d’intolérance prônée par les salafistes, et qui est en totale contradiction avec notre pratique religieuse. En réalité, sur le plan idéologique, les salafistes n’ont aucune emprise sur les Touareg. Nous nous défendons avec nos maigres moyens et nous envisageons un jour proche demander des comptes au pouvoir de Bamako. Nous nous organisons et nous sommes sur la bonne voie.

- Est-il vrai que vous vous préparez à reprendre les armes dans les semaines à venir ?

Nous sommes dans la phase de sensibilisation et de réorganisation. Beaucoup de jeunes veulent des réponses concrètes et immédiates. Ils s’impatientent. Nous travaillons sur nos revendications et sur nos erreurs. Ensuite, il faut passer à l’étape la plus difficile. Celle d’amener Bamako à les prendre en compte, même si c’est par la force des armes.

Salima Tlemçani

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