Ali al-Azzabi, un rebelle du nord du djebel, montre un bout de bitume calciné recouvert de morceaux de tôle tordus, en contrebas d’une tour romaine du plateau de Sofit. « Voilà, c’est dans ce virage que l’on a utilisé pour la dernière fois, début juin, un missile Milan. Trois véhicules de l’armée libyenne, dont un tank, s’étaient regroupés. Un seul a suffi pour tous les détruire. C’est vraiment une très bonne arme, particulièrement efficace. On peut tirer à deux kilomètres en restant très précis. »
Réprobation. La livraison de missiles antichars français Milan aux Berbères des montagnes Nefoussa remonte, selon les rebelles, à environ deux mois. Les armes sont arrivées à As Galha depuis Zintan, un autre bastion de la rébellion situé à une quarantaine de kilomètres, sur la route qui mène à la Tunisie.
A l’époque, les insurgés venaient de prendre le contrôle du poste frontalier de Dhiba, mais plusieurs villages entre Zintan et Yefren restaient aux mains des forces kadhafistes. « Cela aurait été trop risqué de passer par la route. Les missiles ont été livrés à dos d’âne. En empruntant les sentiers de montagnes, cela ne fait qu’une trentaine de kilomètres », explique Ali. Aucun instructeur n’était du voyage, les armes sont arrivées « sans mode d’emploi ».« On a l’habitude d’utiliser différents types de roquettes, on a rapidement compris comment fonctionnaient les Milan », poursuit-il.
La France a reconnu, mercredi, avoir livré des armes aux rebelles du djebel, confirmant des informations du Figaro. Selon Paris, elles ont été parachutées à l’occasion d’opérations d’aide humanitaire. Ces livraisons ont suscité une vague de réprobation au sein de la communauté internationale. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a estimé qu’elles constituaient une « violation grave » de la résolution 1973 de l’ONU qui définit le cadre de l’intervention étrangère en Libye. La Grande-Bretagne, de son côté, affirme être opposée à des livraisons d’armes à la rébellion. « Nous pensons que cela soulève un certain nombre de questions, à commencer par la résolution des Nations unies », a déclaré le secrétaire d’Etat auprès du ministère de la Défense, Gerald Howarth. Les Etats-Unis ne se sont pas prononcés, estimant que la question d’envoi de fusils, de roquettes ou de missiles à l’opposition libyenne n’était ni évoquée ni interdite par l’ONU.
Loin de ces interprétations diplomatiques, les rebelles du nord du djebel ont découvert, stupéfaits, que l’armée du colonel Kadhafi utilisait elle aussi des missiles français Milan. Ils l’ont appris de manière fortuite alors qu’ils contraient, jeudi, une offensive des forces du Guide sur le plateau d’As Wadna, au nord-est de Yefren. Après six heures d’échanges de tirs de roquettes et de mitrailleuses de gros calibres, les chebabs ont fini, en milieu d’après-midi, par reprendre les 4 kilomètres conquis le matin par les soldats libyens.
C’est en examinant les caisses de munitions laissées une heure plus tôt par les forces kadhafistes qu’ils ont découvert trois lanceurs de missiles Milan. Les tubes avaient été abandonnés sur une petite colline à découvert, à côté d’une maison en construction. Plusieurs mètres de câble métallique très fin - qui permet de guider les missiles - étaient entortillés dans les broussailles. « Je ne savais pas qu’ils avaient des Milan. On a l’habitude de se faire tirer dessus par des roquettes Grad, mais elles sont beaucoup moins précises. Ce n’est pas une bonne nouvelle, on va devoir faire plus attention », explique Ali.
Alors que les deux principales lignes de front du nord-ouest n’ont pas bougé depuis une semaine, les chebabs comptent désormais sur un nouveau lance-roquettes pour repousser l’armée libyenne stationnée à Gwadish et relancer l’offensive vers Tripoli, la capitale. L’arme est étrange, une sorte de cylindre d’environ un mètre de diamètre qui se termine en pointe. Selon les rebelles, le lanceur, de fabrication libyenne, est capable d’envoyer 32 roquettes en quelques secondes à près de 10 kilomètres. Il aurait été conçu pour se fixer sur des hélicoptères. Ils viennent d’en récupérer cinq et n’ont pas tardé avant de les souder sur des trépieds à l’arrière de leurs pick-up. Certains ont mis des matelas sur la vitre arrière pour se protéger des déflagrations. « C’est une bonne arme, elle permet de tirer plusieurs roquettes en même temps sur la même cible. Le problème est qu’on n’a pas le système électronique pour viser. On le fait au jugé, ce n’est pas très précis », explique un jeune combattant.
« Offensive ». Vendredi, au lendemain de la contre-offensive qui s’est soldée par la disparition d’un des leurs (probablement mort ou capturé par les soldats loyalistes), les rebelles du nord-ouest disaient ne plus attendre d’intervention des avions de l’Alliance atlantique. « On a décalé une attaque en début de semaine, car on avait compris que les étrangers allaient bombarder. Résultat, ils n’ont rien fait et ce sont les soldats du colonel Kadhafi qui sont passés à l’offensive, explique un ancien employé d’une compagnie pétrolière. Je ne comprends pas pourquoi l’Otan n’intervient pas. Ils ont peur d’abîmer les vestiges romains du djebel ? »
Libération , le 2 juillet 2011.