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Un géénéral en retraite s’exprime dans L’Expression

L’Expression, le 19 mai 2011

jeudi 19 mai 2011, par Tilelli

MEDJAHED ABDELAZIZ, GÉNÉRAL-MAJOR À LA RETRAITE, À L’EXPRESSION

« Les islamistes sont dépassés par les révoltes arabes »

19 Mai 2011

Medjahed Abdelaziz, général-major à la retraite, ex-directeur de l’Académie militaire de Cherchell, a soutenu dans cet entretien que les événements connus par les pays arabes ne sont pas des révolutions. Ils représentent cependant, selon lui, des révoltes exprimant le ras-le-bol d’une jeunesse longtemps opprimée. S’agissant des changements politiques réclamés, il a indiqué qu’il faut plusieurs décennies aux sociétés arabes pour remplacer la dictature par la démocratie, la corruption par l’égalité, l’injustice par la justice.

L’Expression : Quelles leçons peut-on tirer des révolutions qui se sont déclarées dans le Monde arabe ? Medjahed Abdelaziz : D’abord, on ne peut pas qualifier les événements qui se déroulent, aujourd’hui, dans le Monde arabe de mouvements révolutionnaires. Ils sont, de mon point de vue, des révoltes et des soulèvements populaires. Les insurrections aujourd’hui ont une dimension essentiellement morale, éthique. Cependant, ces événements expriment d’abord le rejet de l’autoritarisme dépravé, corrompu et corrupteur, de l’injustice. C’est dire que depuis le recouvrement de leurs indépendances, les pays arabes ont rimé avec les coups d’Etat, l’état d’urgence, le secret et la surveillance, la restriction des libertés individuelles et collectives etc., alors que les minorités au pouvoir se sont emparées des pans entiers de l’économie nationale. Donc, le Monde arabe est sorti du colonialisme pour se retrouver entre les mains de ses propres dictateurs. Revenons maintenant à ces mouvements, appelés communément « révolutions », en Tunisie, en Egypte, en Libye, au Yémen etc. Je dirais qu’il n’y a pas eu de révolution, mais il y a eu juste des révoltes contre les pouvoirs en place. A signaler aussi que l’enjeu des protestations dans le Monde arabe est la fin du népotisme. A travers toutes les capitales arabes, les jeunes appelaient à ce que cessent enfin la corruption, le démantèlement des systèmes de clientèle. Des systèmes qui, il est utile de le souligner, autour d’une famille ou d’un clan, drainent les énergies, stérilisent l’économie, produisent exclusion et répression. Cela était très apparent aussi bien en Tunisie, en Egypte, qu’au Yémen, voire dans les monarchies du Golfe.

Les révoltes arabes ne peuvent-elles pas, selon vous, être récupérées par les Islamistes ? Il est vrai que les islamistes jouent un rôle important et fondamental dans le Monde arabe en matière de mobilisation et d’organisation des masses. On les a même vu présents parmi les manifestants, sur tous les fronts des révoltes. En Egypte, en Tunisie, au Yémen, au Bahreïn etc, ils se sont spectaculairement distingués dans la rue aux côtés des jeunes révoltés, appelant aux changements des systèmes et au départ de tous ceux qui symbolisent les différents dirigeants dans le moindre détail. Mais, il faut dire que ces derniers, qu’ils soient chiites ou sunnites, n’ont pas réussi à récupérer les révoltes de jeunes Arabes contre leurs régimes. Car, les révoltes arabes sont d’abord spontanées et ensuite n’avaient pas des objectifs arrêtés au préalable. Ces révoltes exprimaient d’abord le ras-le-bol des peuples arabes opprimés à tous les niveaux. Cependant, ils se sont contentés de soutenir une révolte de jeunes, qui les dépasse. Donc, les islamistes, toutes tendances confondues, ne parviendront pas à monopoliser les révoltes et les orienter, suivant leur idéologie. Aussi, faut-il le signaler, les insurrections dans le Monde arabe ont, cependant, une dimension essentielle, c’est une dimension morale et éthique. Elles expriment de prime abord le rejet des systèmes établis, depuis les indépendances des pays arabes. Et elles appellent au renouveau.

Pensez-vous donc que les Islamistes ne peuvent influencer le cours des événements et sortir gagnants dans ces révoltes ? En effet, les islamistes ne peuvent influencer le cours des événements et sortir gagnants dans ces révoltes, car ils sont face à des insurrections, qui expriment les échecs des régimes autoritaires, mais aussi des organisations islamiques, qui, depuis des lustres, se sont plus occupées de leur maintien dans l’ombre par souci organisationnel et idéologique. Donc, les révoltes des peuples arabes notamment des explosions sociales, qui renvoient dos à dos aussi bien leurs régimes que les partis politiques à caractère religieux. De plus, les islamistes sont restés à l’extérieur de la modernité économique, introduite par la globalisation, c’est une dimension totalement absente dans leurs programmes. En résumé, il faut dire, sans risque de se tromper, qu’ils ont, certes, une longue histoire d’organisations secrètes, de leadership, des chefs, reconnaissables. Mais ils ont contre eux le fait que ces insurrections ne sont pas idéologiques, mais des insurrections morales et sociales qui partent d’un diagnostic différent de celui des islamistes. Par conséquent, les islamistes ne sont plus, à la lumière dès événements des capitales arabes, les porteurs du seul espoir pour les jeunes.

Les révoltes arabes vont-elles conduire à de véritables changements ? Les révoltes sont, tout simplement, une expression d’une jeunesse, longtemps opprimée. En Tunisie, en Egypte, au Yémen, les jeunes sont descendus dans la rue pour rappeler aux puissants qu’ils étaient plus puissants. Et de leur faire savoir qu’ils ne peuvent plus supporter le totalitarisme et le despotisme. Donc, la jeunesse arabe a, en effet, transformé les villes arabes en machines à protester. Quant aux changements réclamés, il faut dire qu’une telle étape dans la vie d’un peuple ressort d’un travail de longue haleine et exige patience et savoir-faire des forces patriotiques. A ce titre, l’exemple des émancipations des Européens de leurs dictatures est édifiant. En France, il a fallu attendre un siècle pour que la Révolution française porte ses fruits, et que les Français viennent à bout des blocages les plus révoltants de leur société. De fait, il faut dire qu’il faut certainement plusieurs décennies aux sociétés arabes pour remplacer la dictature par la démocratie, la corruption par l’égalité, l’injustice par la justice etc. Car, le changement ne vient pas du jour au lendemain. Néanmoins, ces révoltes ouvrent les voies du changement et montrent que rien n’arrête la volonté d’un peuple de changer son destin. Mais, la question qui se pose est la suivante : est-ce que les jeunes Arabes, criant leur colère à partir des trottoirs de Tunis, de la place de la Liberté au Caire jusqu’aux ronds-points et rocades du Golfe, arriveront-ils à réaliser et concrétiser leurs rêves ?

Les fractures confessionnelles peuvent-elles désunir les rangs des révoltes arabes ? Certainement, il y a un grand risque. Les fractures confessionnelles, chiites contre sunnites, chaféites contre zaydites etc., sont des risques qui peuvent, en effet, bloquer l’élan des révoltes. C’est dire que l’un des grands pièges est là. A cela s’ajoute également, l’implication directe, mais invisible des puissances occidentales et à leur tête les Etats-Unis d’Amérique dans la manipulation des événements dans le Monde arabe, où elles comptent des intérêts stratégiques. Je pense également que les dictatures arabes bénéficient toujours du soutien et de l’amitié de Washington, de Paris, de Londres et de Bruxelles. Ces puissances fonctionnent seulement selon leurs intérêts.

Quelle lecture faites-vous de l’invitation des monarchies du Golfe au Maroc pour rejoindre le Conseil de coopération du Golfe ? La proposition faite par les monarchies du Golfe au Maroc pour rejoindre le Conseil de coopération de Golfe traduit amplement l’inquiétude et le souci de ces dernières de voir le Maroc basculer dans des réformes politiques conduisant à asseoir une monarchie constitutionnelle. D’autant plus que le roi du Maroc en a fait allusion lors de son discours aux Marocains au cours duquel il a annoncé des réformes politiques. Si le Maroc passe à l’installation d’une monarchie constitutionnelle, cela constitue un danger pour les pays du Golfe. Et puis un tel acte pourrait être l’exemple à suivre par les peuples des autres monarchies du Golfe. Cela d’une part et de l’autre, pour parer au danger que représentent les chiites syriens, irakiens, palestiniens, et libanais, les monarchies du Golfe se sont rapprochées du Maroc, mais aussi de la Jordanie pour deux raisons essentielles : la première est de bénéficier de la main-d’oeuvre de ces deux pays pour remplacer les chiites travaillant chez eux. Tandis que la seconde repose sur des considérations militaires. Les monarchies du Golfe veulent utiliser, dans le cadre du Conseil de coopération du Golfe, les moyens militaires de la Jordanie et du Maroc pour parer aux dangers venant des chiites. Sachant que le Maroc compte approximativement quelque 280.000 soldats alors que la Jordanie en compte environ 60.000 à 70.000.

Propos recueillis par Kamel LAKHDAR-CHAOUCHE

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